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Molière, Le Malade imaginaire  : dissertation

Introduction, la liberté d'amuser par tous les moyens, des plaisanteries prosaïques, les fastes de la comédie : séduire et fasciner, faire rire pour mieux dénoncer les travers du monde, des pièces engagées, une école de sagesse, un rire libérateur : divertir ou l'art de détourner des pensées sombres, le rire comme remède, philosophie du rire : dépasser la crainte de la mort.

Commentaire et dissertation

Commentaire et dissertation

Malade imaginaire.

Malade imaginaire est une pièce de Molière de 1673. Ci après le texte complet de la pièce accessible en lecture ou en téléchargement au format PDF. Bonne lecture!

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LE MALADE IMAGINAIRE,

COMÉDIE-BALLET EN TROIS ACTES.

Voltaire a dit du  Malade imaginaire  : « C’est une de ces farces de Molière dans laquelle on trouve beaucoup de scènes dignes de la haute comédie. » Geoffroy a dit à son tour avec beaucoup de raison, en répondant à Voltaire : « Il faut retourner ce jugement.  Le Malade imaginaire  n’est point une farce, c’est une excellente comédie de caractère, où l’on trouve, à la vérité, quelques scènes qui se rapprochent de la farce ; et même, si la pièce était jouée décemment et sans charge, comme elle doit l’être, il n’y aurait qu’une scène de farce, celle du déguisement de Toinette en médecin. Dans cette pièce, qu’on voudrait flétrir du nom de farce, on voit combien l’amour désordonné de la vie est destructeur de toute vertu morale. Argan, voué à la médecine, esclave de M. Purgon, est aussi un époux sot et dupe, un père injuste, un homme dur, égoïste, colère. Avec quelle énergie et quelle vérité l’auteur trace le tableau des caresses perfides d’une belle-mère qui abuse de la faiblesse d’un imbécile mari pour dépouiller les enfants du premier lit ! Quelle décence, quelle raison ! quelle fermeté dans le caractère d’Angélique ! Cette comédie est l’image fidèle de ce qui se passe dans un grand nombre de familles. Enfin l’auteur a osé y attaquer un des préjugés les plus universels et les plus anciens de la société ; il a osé y combattre les deux passions qui font le plus de dupes, la crainte de la mort et l’amour de la vie : il a bien pu les persifler, mais, hélas ! il était au-dessus de son art de les détruire. Les usages qui ont leur force dans la faiblesse humaine, bravent tous les traits du ridicule. Molière, il faut bien l’avouer n’a point corrigé les hommes de la médecine, mais il a corrigé les médecins de leur ignorance et de leur barbarie. Les représentations du  Malade imaginaire  ne diminuèrent pas le crédit des médecins de la cour : madame de Maintenon n’en eut pas moins de respect pour la Faculté ; le sévère Fagon, digne émule de Purgon, n’en purgea pas moins Louis XIV toutes les semaines ; les jours de médecine du monarque n’en furent pas moins de jours solennels, des jours d’étiquette ; et les écoles de médecine continuèrent longtemps à retentir des arguments des Diafoirus. »

« On sait, dit encore Geoffroy, que  le Malade imaginaire  est la dernière pièce de Molière. Cette pièce, qu’on a coutume de donner dans le carnaval, est en elle-même un peu lugubre et rappelle une grande perte. Quand Molière joua le rôle du Malade imaginaire, il était lui-même attaqué d’une maladie très-réelle. Depuis un an, il s’était réconcilié avec sa femme. La réconciliation d’un mari amoureux et jaloux avec une femme vive et coquette s’accorde mal avec le régime du lait. Molière oublia qu’il avait une poitrine, pour se souvenir qu’il avait un cœur ; mais il éprouva que le plaisir n’est pas si sain que le bonheur. Pour maintenir la bonne intelligence avec une femme très-difficile à vivre, il fit des sacrifices qui augmentèrent considérablement sa toux. La mort sembla vouloir venger ses fidèles médecins, plus vivement attaqués dans  le Malade imaginaire  que dans aucune autre maladie. »

Molière, en composant  le Malade imaginaire , avait eu l’intention de « délasser le roi de ses nobles travaux, car on était au retour de la première campagne de Hollande, signalée par de nombreux triomphes. » La pièce, par des motifs qui ne sont pas connus, ne fut point représentée devant la cour, et elle fut donnée pour la première fois au public le 10 février 1673, le vendredi avant le dimanche gras. « Le jour de la quatrième représentation, le 17 du même mois, Molière, qui remplissait le rôle d’Argan, dit M. Taschereau, se sentit plus malade que de coutume. Baron et tous ceux qui l’entouraient le sollicitèrent en vain de ne pas jouer : « Comment voulez-vous que je fasse ? leur répondit-il ; il y a cinquante pauvres ouvriers qui n’ont que leur journée pour vivre, que feront-ils si je ne joue pas ? je me reprocherais d’avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant absolument. » Il fut convenu seulement que la représentation aurait lieu à quatre heures précises. Sa fluxion le fit si cruellement souffrir qu’il lui fallut faire de grands efforts intérieurs pour achever son rôle. Dans la cérémonie, au moment où il prononça le mot  juro , il lui prit une convulsion qui put être aperçue par quelques spectateurs, et qu’il essaya aussitôt de déguiser par un rire forcé. La représentation ne fut pas interrompue ; mais immédiatement après ses porteurs le transportèrent chez lui, rue de Richelieu. Là, sa toux le reprit avec une telle violence, qu’un des vaisseaux de sa poitrine se rompit. » Il mourut suffoqué par le sang.

Le Malade imaginaire  appartient, quant au fond, entièrement à Molière ; mais les commentateurs ont indiqué, comme ayant fourni au poète le canevas de plusieurs scènes : 1 o  la pièce italienne,  Arlechino medico volante ;  2 o   le Mari malade ;  3 o   Boniface ou le Pédant , pièce italienne, déjà imitée dans  le Mariage forcé , qui avait aussi fourni à La Fontaine le conte du  Paysan qui a offensé son seigneur . Si l’on en croit le témoignage d’un contemporain, Georges Backer, qui publia à Bruxelles, en 1694, une édition des œuvres de notre auteur, les médecins auraient fait des démarches très-actives auprès de Louis XIV pour empêcher l’impression de la pièce.

PERSONNAGES DU PROLOGUE.

DEUX ZÉPHYRS , dansants.

TIRCIS , amant de Climène, chef d’une troupe de bergers.

DORILAS , amant de Daphné, chef d’une troupe de bergers.

BERGERS ET BERGÈRES  de la suite de Tircis, dansants et chantants.

BERGERS ET BERGÈRES  de la suite de Dorilas, chantants et dansants.

FAUNES , dansants.

PERSONNAGES DES INTERMÈDES.

DANS LE PREMIER ACTE.

POLICHINELLE .

UNE VIEILLE .

ARCHERS , chantants et dansants.

DANS LE SECOND ACTE.

QUATRE ÉGYPTIENNES , chantantes.

ÉGYPTIENS ET ÉGYPTIENNES , chantants et dansants.

DANS LE TROISIÈME ACTE.

TAPISSIERS , dansants.

LE PRÉSIDENT  de la Faculté de médecine.

ARGAN , bachelier.

APOTHICAIRES , avec leurs mortiers et leurs pilons.

PORTE-SERINGUES .

CHIRURGIENS .

La scène est à Paris.

Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire ; et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du  Malade imaginaire , dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux.

Le théâtre représente un lieu champêtre, et néanmoins fort agréable.

EN MUSIQUE ET EN DANSE.

FLORE, DEUX ZÉPHYRS, dansants.

      Quittez, quittez vos troupeaux ;      Venez, bergers, venez, bergères ; Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux : Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères,      Et réjouir tous ces hameaux.       Quittez, quittez vos troupeaux ;       Venez, bergers, venez, bergères ; Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux.

FLORE, DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ, TIRCIS, DORILAS.

climène ,  à Tircis ;   et daphné ,  à Dorilas.

      Berger, laissons là tes feux :      Voilà Flore qui nous appelle.

tircis ,  à Climène ;   et dorilas ,  à Daphné.

      Mais au moins, dis-moi, cruelle,

Si d’un peu d’amitié tu payeras mes vœux.

Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle.

climène et daphné.

     Voilà Flore qui nous appelle.

tircis et dorilas.

Ce n’est qu’un mot, un mot, un seul mot que je veux.

Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ?

Puis-je espérer qu’un jour tu me rendras heureux ?

FLORE ; DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ, TIRCIS, DORILAS ; BERGERS ET BERGÈRES de la suite de Tircis et Dorilas, chantants et dansants.

PREMIÈRE ENTRÉE DE BALLET.

Toute la troupe des bergers et des bergères va se placer en cadence autour de Flore.

     Quelle nouvelle parmi nous, Déesse, doit jeter tant de réjouissance ?

     Nous brûlons d’apprendre de vous      Cette nouvelle d’importance.

     D’ardeur nous en soupirons tous.

climène, daphné, tircis, dorilas.

     Nous en mourons d’impatience.

     La voici ; silence, silence ! Vos vœux sont exaucés, LOUIS est de retour ; Il ramène en ces lieux les plaisirs et l’amour, Et vous voyez finir vos mortelles alarmes. Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis ;      Il quitte les armes,      Faute d’ennemis.

   Ah ! quelle douce nouvelle !    Qu’elle est grande ! qu’elle est belle ! Que de plaisirs ! que de ris ! que de jeux !    Que de succès heureux ! Et que le ciel a bien rempli nos vœux !    Ah ! quelle douce nouvelle !    Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !

DEUXIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Tous les bergers et bergères expriment, par des danses les transports de leur joie.

   De vos flûtes bocagères    Réveillez les plus beaux sons ;    LOUIS offre à vos chansons    La plus belle des matières.      Après cent combats,      Où cueille son bras      Une ample victoire,      Formez entre vous      Cent combats plus doux,      Pour chanter sa gloire.

     Formons, entre nous,      Cent combats plus doux,      Pour chanter sa gloire.

   Mon jeune amant, dans ce bois,    Des présents de mon empire    Prépare un prix à la voix    Qui saura le mieux nous dire    Les vertus et les exploits    Du plus auguste des rois.

   Si Tircis a l’avantage,

   Si Dorilas est vainqueur,

   À le chérir je m’engage.

     Je me donne à son ardeur.

      Ô trop chère espérance !

      Ô mot plein de douceur !

tircis et daphné.

  Plus beau sujet, plus belle récompense     Peuvent-ils animer un cœur ?

Les violons jouent un air pour animer les deux bergers au combat, tandis que Flore, comme juge, va se placer au pied d’un arbre qui est au milieu du théâtre, avec deux Zéphyrs, et que le reste, comme spectateurs, va occuper les deux côtés de la scène.

Quand la neige fondue enfle un torrent fameux, Contre l’effort soudain de ses flots écumeux,      Il n’est rien d’assez solide     Digues, châteaux, villes et bois,     Hommes et troupeaux à la fois,     Tout cède au courant qui le guide :     Tel, et plus fier et plus rapide,     Marche LOUIS dans ses exploits.

TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Les bergers et bergères du côté de Tircis dansent autour de lui, sur une ritournelle, pour exprimer leurs applaudissements.

La foudre menaçant qui perce avec fureur L’affreuse obscurité de la nue enflammée,       Fait, d’épouvante et d’horreur,       Trembler le plus ferme cœur ;      Mais, à la tête d’une armée,      LOUIS jette plus de terreur.

QUATRIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Les bergers et bergères du côté de Dorilas font de même que les autres.

Des fabuleux exploits que la Grèce a chantés

Par un brillant amas de belles vérités     Nous voyons la gloire effacée ;     Et tous ces fameux demi-dieux,     Que vante l’histoire passée,     Ne sont point à notre pensée     Ce que LOUIS est à nos yeux.

CINQUIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Les bergers et bergères du côté de Tircis font encore la même chose.

LOUIS fait à nos temps, par ses faits inouïs, Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire       Des siècles évanouis ;       Mais nos neveux, dans leur gloire,       N’auront rien qui fasse croire       Tous les beaux faits de LOUIS.

SIXIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Les bergers et bergères du côté de Dorilas font encore de même.

SEPTIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Les bergers et bergères du côté de Tircis et de celui de Dorilas se mêlent et dansent ensemble.

FLORE, PAN ; DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ ; TIRCIS, DORILAS ; FAUNES, dansants ; BERGERS ET BERGÈRES, chantants et dansants.

Laissez, laissez, bergers, ce dessein téméraire ;        Hé ! que voulez-vous faire ?       Chanter sur vos chalumeaux       Ce qu’Apollon sur sa lyre,       Avec ses chants les plus beaux,       N’entreprendroit pas de dire : C’est donner trop d’essor au feu qui vous inspire ; C’est monter vers les cieux sur des ailes de cire,      Pour tomber dans le fond des eaux.

Pour chanter de LOUIS l’intrépide courage,

     Il n’est point d’assez docte voix, Point de mots assez grands pour en tracer l’image ;       Le silence est le langage       Qui doit louer ses exploits. Consacrez d’autres soins à sa pleine victoire ; Vos louanges n’ont rien qui flatte ses désirs :       Laissez, laissez là sa gloire,       Ne songez qu’à ses plaisirs.

Laissons, laissons là sa gloire, Ne songeons qu’à ses plaisirs.

flore ,  à Tircis et à Dorilas.

Bien que, pour étaler ses vertus immortelles,     La force manque à vos esprits, Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix,     Dans les choses grandes et belles,     Il suffit d’avoir entrepris.

HUITIÈME ENTRÉE DE BALLET

Les deux Zéphyrs dansent avec deux couronnes de fleurs à la main, qu’ils viennent donner ensuite aux deux bergers.

climène et daphné ,  donnant la main à leurs amants.

    Dans les choses grandes et belles,     Il suffit d’avoir entrepris.

Ah ! que d’un doux succès notre audace est suivie !

flore et pan.

Ce qu’on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais.

Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais.

Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !

    Joignons tous dans ces bois     Nos flûtes et nos voix :

        Ce jour nous y convie ; Et faisons aux échos redire mille fois :        LOUIS est le plus grand des rois ; Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !

NEUVIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Faunes, bergers et bergères, tous se mêlent, et il se fait entre eux des jeux de danse ; après quoi ils se vont préparer pour la comédie.

AUTRE PROLOGUE.

UNE BERGÈRE, chantante.

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,     Vains et peu sages médecins ; Vous ne pouvez guérir, par vos grands mots latins     La douleur qui me désespère : Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.

  Hélas ! hélas ! je n’ose découvrir       Mon amoureux martyre     Au berger pour qui je soupire,     Et qui seul peut me secourir.     Ne prétendez pas le finir, Ignorants médecins ; vous ne sauriez faire : Votre plus haut savoir n’est que pure chimère. Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire Croit que vous connoissez l’admirable vertu, Pour les maux que je sens n’ont rien de salutaire ; Et tout votre caquet ne peut être reçu      Que d’un malade imaginaire.

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,     Vains et peu sages médecins, etc.

Le théâtre change et représente une chambre.

ACTE PREMIER.

ARGAN, assis, une table devant lui, comptant des jetons les parties de son apothicaire.

Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt ; trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. » Ce qui me plaît de monsieur Fleurant, mon apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles. « Les entrailles de monsieur, trente sols. » Oui ; mais, monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil ; il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement ! Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit ; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là ; car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de monsieur, quatre livres. » Ah ! monsieur Fleurant, c’est se moquer : il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus, du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de monsieur, trente sols. » Dix sols, monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de monsieur, réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine, composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols ; je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié et dulcoré pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de limon et grenades, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs, vingt et quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc que, de ce mois, j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements ; et, l’autre mois, il y avoit douze médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci.  (Voyant que personne ne vient, et qu’il n’y a aucun de ses gens dans sa chambre. )  Il n’y a personne. J’ai beau dire : on me laisse toujours seul ; il n’y a pas moyen de les arrêter ici.  (Après avoir sonné une sonnette qui est sur la table.)  Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds… Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnois point. Chienne ! coquine ! Drelin, drelin, drelin. J’enrage.  (Il ne sonne plus, mais il crie.)  Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin, drelin, drelin ! Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin.

ARGAN, TOINETTE.

toinette ,  en entrant.

Ah ! chienne ! ah ! carogne !

toinette ,  faisant semblant de s’être cogné la tête.

Diantre soit fait de votre impatience ! Vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un volet.

argan ,  en colère.

Ah ! traîtresse !…

toinette ,  interrompant Argan.

Il y a une heure…

Tu m’as laissé…

Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.

Çamon, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.

Tu m’as fait égosiller, carogne.

Et vous m’avez fait, vous, casser la tête : l’un vaut bien l’autre. Quitte à quitte, si vous voulez.

Quoi ! coquine…

Si vous querellez, je pleurerai.

Me laisser, traîtresse…

toinette ,  interrompant encore Argan.

Chienne ! tu veux…

Quoi ! il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ?

Querellez tout votre soûl : je le veux bien.

Tu m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups.

Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j’aie le plaisir de pleurer : chacun le sien, ce n’est pas trop. Ah !

Allons ; il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci.  (Après s’être levé.)  Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?

Votre lavement ?

Oui. Ai-je bien fait de la bile ?

Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires-là ; c’est à monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.

Qu’on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l’autre que je dois tantôt prendre.

Ce monsieur Fleurant-là et ce monsieur Purgon s’égaient sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait, et je voudrois bien leur demander quel mal vous avez, pour faire tant de remèdes.

Taisez-vous, ignorante ; ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique : j’ai à lui dire quelque chose.

La voici qui vient d’elle-même ; elle a deviné votre pensée.

ARGAN, ANGÉLIQUE, TOINETTE.

Approchez, Angélique : vous venez à propos ; je voulois vous parler.

Me voilà prête à vous ouïr.

Attendez.  (À Toinette.)  Donnez-moi mon bâton. Je vais revenir tout à l’heure.

Allez vite, monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires.

ANGÉLIQUE, TOINETTE.

Toinette !

Quoi ?

Regarde-moi un peu.

Hé bien ! je vous regarde.

Hé bien ! quoi, Toinette ?

Ne devines-tu point de quoi je veux parler ?

Je m’en doute assez : de notre jeune amant ; car c’est sur lui depuis six jours que roulent tous nos entretiens ; et vous n’êtes point bien, si vous n’en parlez à toute heure.

Puisque tu connois cela, que n’es-tu donc la première à m’en entretenir ? Et que ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours ?

Vous ne m’en donnez pas le temps ; et vous avez des soins là-dessus qu’il est difficile de prévenir.

Je t’avoue que je ne saurois me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi. Mais, dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j’ai pour lui ?

Je n’ai garde.

Ai-je tort de m’abandonner à ces douces impressions ?

Je ne dis pas cela.

Et voudrois-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moi ?

À Dieu ne plaise !

Dis-moi un peu : ne trouves-tu pas, comme moi, quelque chose du ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connoissance ?

Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défense, sans me connoître, est tout à fait d’un honnête homme ?

Que l’on ne peut pas en user plus généreusement ?

Et qu’il fit tout cela de la meilleure grace du monde ?

Oh ! oui.

Ne trouves-tu pas, Toinette, qu’il est bien fait de sa personne ?

Assurément.

Qu’il a l’air le meilleur du monde ?

Sans doute.

Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ?

Cela est sûr.

Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit ?

Il est vrai.

Et qu’il n’est rien de plus fâcheux que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le ciel nous inspire ?

Vous avez raison.

Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’aime autant qu’il me le dit ?

Hé ! hé ! ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité ; et j’ai vu de grands comédiens là-dessus.

Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu’il parle, seroit-il bien possible qu’il ne me dît pas vrai ?

En tout cas, vous en serez bientôt éclaircie ; et la résolution où il vous écrivit hier qu’il étoit de vous faire demander en mariage, est une prompte voie à vous faire connoître s’il vous dit vrai ou non. C’en sera là la bonne preuve.

Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun homme.

Voilà votre père qui revient.

Oh çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? Vous riez ? Cela est plaisant oui, ce mot de mariage ! Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah ! nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.

Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

Je suis bien aise d’avoir une fille si obéissante : la chose est donc conclue, et je vous ai promise.

C’est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés.

Ma femme, votre belle-mère, avoit envie que je vous fisse religieuse, et votre petite sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.

toinette ,  à part.

La bonne bête a ses raisons.

Elle ne vouloit point consentir à ce mariage ; mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée.

Ah ! mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés !

toinette ,  à Argan.

En vérité, je vous sais bon gré de cela ; et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.

Je n’ai point encore vu la personne : mais on m’a dit que j’en serois content, et toi aussi.

Assurément, mon père.

Comment ! l’as-tu vu ?

Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connoître il y a six jours, et que la demande qu’on vous a faite est un effet de l’inclination que, dès cette première vue, nous avons prise l’un pour l’autre.

Ils ne m’ont pas dit cela ; mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune garçon bien fait.

Oui, mon père.

De belle taille.

Agréable de sa personne.

De bonne physionomie.

Très bonne.

Sage et bien né.

Tout à fait.

Fort honnête.

Le plus honnête du monde.

Qui parle bien latin et grec.

C’est ce que je ne sais pas.

Et qui sera reçu médecin dans trois jours.

Lui, mon père ?

Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?

Non, vraiment. Qui vous l’a dit, à vous ?

Monsieur Purgon.

Est-ce que monsieur Purgon le connoît ?

La belle demande ! Il faut bien qu’il le connoisse puisque c’est son neveu.

Cléante, neveu de monsieur Purgon ?

Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.

Hé ! oui.

Hé bien ! c’est le neveu de monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, monsieur Purgon, monsieur Fleurant, et moi ; et demain, ce gendre prétendu doit m’être amené par son père. Qu’est-ce ? Vous voilà tout ébaubie !

C’est, mon père, que je connois que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre.

Quoi ! monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et, avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?

Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?

Mon Dieu ! tout doux. Vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?

Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je le suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations et des ordonnances.

Hé bien ! voilà dire une raison, et il y a du plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, monsieur, mettez la main à la conscience ; est-ce que vous êtes malade ?

Comment, coquine ! si je suis malade ! Si je suis malade, impudente !

Hé bien ! oui, monsieur, vous êtes malade ; n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez : voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et, n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin.

C’est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.

Ma foi, monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?

Quel est-il, ce conseil ?

De ne point songer à ce mariage-là.

Et la raison ?

La raison, c’est que votre fille n’y consentira point  [10] .

Elle n’y consentira point ?

Ma fille ?

Votre fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de monsieur Diafoirus, de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.

J’en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu’on ne pense. Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier ; et, de plus, monsieur Purgon, qui n’a ni femme ni enfants, lui donne tout son bien en faveur de ce mariage ; et monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente.

Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche.

Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père.

Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j’en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de lui choisir un autre mari ; et elle n’est point faite pour être madame Diafoirus.

Et je veux, moi, que cela soit.

Hé, fi ! ne dites pas cela.

Comment ! que je ne dise pas cela ?

Et pourquoi ne le dirai-je pas ?

On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.

On dira ce qu’on voudra ; mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée.

Non ; je suis sûre qu’elle ne le fera pas.

Je l’y forcerai bien.

Elle ne le fera pas, vous dis-je.

Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent.

Vous ?

Comment, bon ?

Vous ne la mettrez point dans un couvent.

Je ne la mettrai point dans un couvent ?

Ouais ! Voici qui est plaisant ! Je ne mettrai pas ma fille dans un couvent, si je veux ?

Non, vous dis-je.

Qui m’en empêchera ?

Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là.

Je l’aurai.

Vous vous moquez.

Je ne me moque point.

La tendresse paternelle vous prendra.

Elle ne me prendra point.

Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un Mon petit papa mignon, prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher.

Tout cela ne fera rien.

Je vous dis que je n’en démordrai point.

Bagatelles.

Il ne faut point dire, Bagatelles.

Mon Dieu ! je vous connois, vous êtes bon naturellement.

argan ,  avec emportement.

Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.

Doucement, monsieur. Vous ne songez pas que vous êtes malade.

Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.

Et moi, je lui défends absolument d’en faire rien.

Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler de la sorte devant son maître ?

Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.

argan ,  courant après Toinette.

Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.

toinette ,  évitant Argan, et mettant la chaise entre elle et lui.

Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.

argan ,  courant après Toinette autour de la chaise avec son bâton.

Viens, viens, que je t’apprenne à parler.

toinette ,  se sauvant du côté où n’est point Argan.

Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.

argan ,  de même.

Chienne !

toinette ,  de même.

Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.

Pendarde !

Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.

Carogne !

Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.

argan ,  s’arrêtant.

Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette coquine-là ?

Hé ! mon père, ne vous faites point malade.

argan ,  à Angélique.

Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction.

toinette ,  en s’en allant.

Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.

argan ,  se jetant dans sa chaise.

Ah ! ah ! je n’en puis plus. Voilà pour me faire mourir.

BÉLINE, ARGAN.

Ah ! ma femme, approchez.

Qu’avez-vous, mon pauvre mari ?

Venez-vous-en ici à mon secours.

Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit fils ?

Ma mie !

Mon ami !

On vient de me mettre en colère.

Hélas ! pauvre petit mari ! Comment donc, mon ami ?

Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.

Ne vous passionnez donc point.

Elle m’a fait enrager, ma mie.

Doucement, mon fils.

Elle a contrecarré, une heure durant, les choses que je veux faire.

Là, là, tout doux !

Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.

C’est une impertinente.

Vous savez, mon cœur, ce qui en est.

Oui, mon cœur ; elle a tort.

M’amour, cette coquine-là me fera mourir.

Hé là, hé là !

Elle est cause de toute la bile que je fais.

Ne vous fâchez point tant.

Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.

Mon Dieu ! mon fils, il n’y a point de serviteurs et de servantes qui n’aient leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités, à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle ; et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l’on prend. Holà ! Toinette !

ARGAN, BÉLINE, TOINETTE.

Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère ?

toinette ,  d’un ton doucereux.

Moi, madame ? Hélas ! je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à monsieur en toutes choses.

Ah ! la traîtresse !

Il nous a dit qu’il vouloit donner sa fille en mariage au fils de monsieur Diafoirus : je lui ai répondu que je trouvois le parti avantageux pour elle, mais que je croyois qu’il feroit mieux de la mettre dans un couvent.

Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.

Ah ! m’amour, vous la croyez ? C’est une scélérate ; elle m’a dit cent insolences.

Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Écoutez, Toinette : si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l’accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles : il n’y a rien qui enrhume tant que de prendre l’air par les oreilles.

Ah ! ma mie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !

béline , accommodant les oreillers qu’elle met autour d’Argan.

Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.

toinette ,  lui mettant rudement un oreiller sur la tête.

Et celui-ci pour vous garder du serein.

argan ,  se levant en colère, et jetant tous ses oreillers à Toinette, qui s’enfuit.

Ah ! coquine, tu veux m’étouffer !

Scène VIII.

ARGAN, BÉLINE.

Hé là, hé là ! Qu’est-ce que c’est donc ?

Ah, ah, ah ! je n’en puis plus.

Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.

Vous ne connoissez pas, m’amour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m’a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit médecines et de douze lavements pour réparer tout ceci.

Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.

Ma mie, vous êtes toute ma consolation.

Pauvre petit fils !

Pour tâcher de reconnoître l’amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ai dit, faire mon testament.

Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie : je ne saurois souffrir cette pensée ; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.

Je vous avois dit de parler pour cela à votre notaire.

Le voilà là dedans, que j’ai amené avec moi.

Faites-le donc entrer, m’amour.

Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n’est guère en état de songer à tout cela.

MONSIEUR DE BONNEFOI, BÉLINE, ARGAN.

Approchez, monsieur de Bonnefoi, approchez. Prenez un siège, s’il vous plaît. Ma femme m’a dit, monsieur, que vous étiez fort honnête homme, et tout à fait de ses amis ; et je l’ai chargée de vous parler pour un testament que je veux faire.

Hélas ! je ne suis point capable de parler de ces choses-là.

monsieur de bonnefoi.

Elle m’a, monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j’ai à vous dire là-dessus que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament.

Mais pourquoi ?

La coutume y résiste. Si vous étiez en pays de droit écrit, cela se pourroit faire : mais, à Paris et dans les pays coutumiers, au moins dans la plupart, c’est ce qui ne se peut ; et la disposition seroit nulle. Tout l’avantage qu’homme et femme conjoints par mariage se peuvent faire l’un à l’autre, c’est un don mutuel entre vifs ; encore faut-il qu’il n’y ait enfants, soit des deux conjoints, ou de l’un d’eux, lors du décès du premier mourant.

Voilà une coutume bien impertinente, qu’un mari ne puisse rien laisser à une femme dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin ! J’aurois envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrois faire.

Ce n’est point à des avocats qu’il faut aller, car ils sont d’ordinaire sévères là-dessus, et s’imaginent que c’est un grand crime que de disposer en fraude de la loi : ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n’est pas permis ; qui savent aplanir les difficultés d’une affaire et trouver des moyens d’éluder la coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours ? Il faut de la facilité dans les choses ; autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerois pas un sol de notre métier.

Ma femme m’avoit bien dit, monsieur, que vous étiez fort habile et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien et en frustrer mes enfants ?

Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme, par votre testament, tout ce que vous pouvez ; et cet ami ensuite lui rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d’obligations non suspectes au profit de divers créanciers qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu’ils en ont fait n’a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l’argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir payables au porteur.

Mon Dieu ! il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.

Oui, mon ami, si je suis assez malheureuse pour vous perdre…

Ma chère femme !

La vie ne me sera plus de rien.

M’amour !

Et je suivrai vos pas, pour vous faire connoître la tendresse que j’ai pour vous.

Ma mie, vous me fendez le cœur ! Consolez-vous, je vous en prie.

monsieur de bonnefoi ,  à Béline.

Ces larmes sont hors de saison ; et les choses n’en sont point encore là.

Ah ! monsieur, vous ne savez pas ce que c’est qu’un mari qu’on aime tendrement.

Tout le regret que j’aurai, si je meurs, ma mie, c’est de n’avoir point un enfant de vous. Monsieur Purgon m’avoit dit qu’il m’en feroit faire un.

Cela pourra venir encore.

Il faut faire mon testament, m’amour, de la façon que monsieur dit ; mais, par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or que j’ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l’un par monsieur Damon, et l’autre par monsieur Gérante.

Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah !… Combien dites-vous qu’il y a dans votre alcôve ?

Vingt mille francs, m’amour.

Ne me parlez point de bien, je vous prie. Ah !… De combien sont les deux billets ?

Ils sont, ma mie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.

Tous les biens du monde, mon ami, ne me sont rien au prix de vous.

Voulez-vous que nous procédions au testament ?

Oui, monsieur ; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. M’amour, conduisez-moi, je vous prie.

Allons, mon pauvre petit fils.

Les voilà avec un notaire, et j’ai ouï parler de testament. Votre belle-mère ne s’endort point : et c’est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts, où elle pousse votre père.

Qu’il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu’il ne dispose point de mon cœur. Tu vois, Toinette, les desseins violents que l’on fait sur lui. Ne m’abandonne point, je te prie, dans l’extrémité où je suis.

Moi, vous abandonner ! J’aimerois mieux mourir. Votre belle-mère a beau me faire sa confidente, et me vouloir jeter dans ses intérêts, je n’ai jamais pu avoir l’inclination pour elle ; et j’ai toujours été de votre parti. Laissez-moi faire, j’emploierai toute chose pour vous servir ; mais, pour vous servir avec plus d’effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j’ai pour vous, et feindre d’entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle-mère.

Tâche, je t’en conjure, de faire donner avis à Cléante du mariage qu’on a conclu.

Je n’ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant ; et il m’en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien dépenser pour vous. Pour aujourd’hui, il est trop tard ; mais demain, de grand matin, je l’envoierai querir, et il sera ravi de…

BÉLINE, dans la maison ; ANGÉLIQUE, TOINETTE.

toinette ,  à Angélique.

Voilà qu’on m’appelle. Bonsoir. Reposez-vous sur moi.

PREMIER INTERMÈDE.

Le théâtre change, et représente une ville.

Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. Il est interrompu d’abord par des violons contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le guet, composé de musiciens et de danseurs.

POLICHINELLE, seul.

Ô amour, amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle ? À quoi t’amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon ; tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et tout cela, pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne ; une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus. Tu le veux, amour : il faut être fou comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge ; mais qu’y faire ? On n’est pas sage quand on veut ; et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n’y a rien parfois qui soit si touchant qu’un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse.  (Après avoir pris sont luth.)  Voici de quoi accompagner ma voix. Ô nuit ! ô chère nuit ! porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible.

        Notte e dì v’ amo e v’ adoro.         Cerco un sì per mio ristoro ;

        Ma se voi dite di nò,         Bella ingrata, io morirò.

             Frà la speranza              S’ afflige il cuore,              In lontananza              Consuma l’ hore ;              Si dolce inganno              Che mi figura              Breve l’ affanno,              Ahi ! troppo dura. Così per troppo amar languisco e muoro.

        Notte e dì v’ amo e v’ adoro.         Cerco un sì per mio ristoro ;         Ma se voi dite di nò,         Bella ingrata, io moriro.

             Se non dormite,              Almen pensate              Alle ferite              Ch’ al cuor mi fate.              Deh ! almen fingete,              Per mio conforto,              Se m’ uccidete,              D’ haver il torto ; Vostra pietà mi scemarà il martoro.

        Notte e dì v’ amo e v’ adoro.         Cerco un sì per mio ristoro ;         Ma se voi dite di nò,         Bella ingrata, io morirò.

POLICHINELLE ; UNE VIEILLE, se présentant à la fenêtre, en répondant à Polichinelle pour se moquer de lui.

la vieille   chante.

Zerbinetti, ch’ ogn’ hor con finti sguardi,         Mentiti desiri,         Fallaci sospiri,         Accenti buggiardi,        Di fede vi pregiate,        Ah ! che non m’ ingannate.          Che già so per prova,          Ch’ in voi non si trova          Costanza nè fede.

   Oh ! quanto è pazza colei che vi crede !

      Quei sguardi languidi       Non m’ innamorano,       Quei sospir fervidi       Più non m’ infiammano,         Vel giuro a fe.       Zerbino misero,       Del vostro piangere       Il mio cuor libero       Vuol sempre ridere ;         Credete a me       Che già so per prova,       Ch’ in voi non si trova       Costanza nè fede.

Oh ! quanto è pazza colei che vi crede .

POLICHINELLE, VIOLONS, derrière le théâtre.

les violons   commencent un air.

polichinelle.

Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix !

les violons   continuant à jouer.

Paix là ! taisez-vous, violons. Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon inexorable.

les violons ,  de même.

Taisez-vous, vous dis-je ; c’est moi qui veux chanter.

les violons.

Paix donc !

Ouais !

Est-ce pour rire ?

Ah ! que de bruit !

Le diable vous emporte !

J’enrage !

Vous ne vous tairez pas ? Ah ! Dieu soit loué.

Encore ?

Peste des violons !

La sotte musique que voilà.

polichinelle ,  chantant pour se moquer des violons.

La, la, la, la, la, la.

polichinelle ,  de même.

Par ma foi, cela me divertit. Poursuivez, messieurs les violons ; vous me ferez plaisir.  (N’entendant plus rien.)  Allons donc, continuez, je vous en prie.

Voilà le moyen de les faire taire. La musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. Oh sus, à nous. Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton.  (Il prend son luth, dont il fait semblant de jouer, en imitant avec les lèvres et la langue le son de cet instrument.)  Plan, plan, plan, plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un luth d’accord. Plin, plin, plin. Plin, tan, plan. Plin, plan. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plin. J’entends du bruit. Mettons mon luth contre la porte.

POLICHINELLE ; ARCHERS, passant dans la rue, et accourant au bruit qu’ils entendent.

un archer ,  chantant.

Qui va là ? qui va là ?

polichinelle ,  bas.

Qui diable est-ce là ? Est-ce que c’est la mode de parler en musique ?

Qui va là ? qui va là ? qui va là ?

polichinelle ,  épouvanté.

Moi, moi, moi.

Qui va là ? qui va là ? vous dis-je.

Moi, moi, vous dis-je.

Et qui toi ? et qui toi ?

Moi, moi, moi, moi, moi, moi.

    Dis ton nom, dis ton nom, sans davantage attendre.

polichinelle ,  feignant d’être bien hardi.

       Mon nom est Va te faire pendre.

       Ici, camarades, ici.   Saisissons l’insolent qui nous répond ainsi.

Tout le guet vient, qui cherche Polichinelle dans la nuit.

violons et danseurs.

  Qui va là ?

        Qui sont les coquins que j’entends ?

  Euh ?

     Holà ! mes laquais, mes gens !

Par la mort !

        Par le sang !

                 J’en jetterai par terre !

Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton !

   Donnez-moi mon mousqueton…

polichinelle ,  faisant semblant de tirer un coup de pistolet.

    Poue.

(Ils tombent tous, et s’enfuient.)

Ah, ah, ah, ah ! comme je leur ai donné l’épouvante ! Voilà de sottes gens, d’avoir peur de moi, qui ai peur des autres. Ma foi, il n’est que de jouer d’adresse en ce monde. Si je n’avois tranché du grand seigneur et n’avois fait le brave, ils n’auroient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah !

(Les archers se rapprochent, et, ayant entendu ce qu’il disoit, ils le saisissent au collet.)

POLICHINELLE ; ARCHERS, chantants.

les archers ,  saisissant Polichinelle.

   Nous le tenons. À nous, camarades, à nous !            Dépêchez ; de la lumière.

(Tout le guet vient avec des lanternes.)

POLICHINELLE ; ARCHERS, chantants et dansants.

       Ah ! traître ; ah ! fripon ! c’est donc vous ?    Faquin, maraud, pendard, impudent, téméraire,    Insolent, effronté, coquin, filou, voleur,        Vous osez nous faire peur !

       Messieurs, c’est que j’étois ivre.

       Non, non, non, point de raison ;        Il faut vous apprendre à vivre.        En prison, vite en prison.

Messieurs, je ne suis point voleur.

Je suis un bourgeois de la ville.

Qu’ai-je fait ?

En prison, vite, en prison.

Messieurs, laissez-moi aller.

Je vous prie !

De grace !

Messieurs !

Non, non, non.

S’il vous plaît.

Par charité !

Au nom du ciel !

Miséricorde !

Hé ! n’est-il rien, messieurs, qui soit capable d’attendrir vos ames ?

        Il est aisé de nous toucher ;     Et nous sommes humains, plus qu’on ne sauroit croire.     Donnez-nous seulement six pistoles pour boire           Nous allons vous lâcher.

Hélas ! messieurs, je vous assure que je n’ai pas un sol sur moi.

          Au défaut de six pistoles,           Choisissez donc, sans façon,           D’avoir trente croquignoles,           Ou douze coups de bâton.

Si c’est une nécessité, et qu’il faille en passer par là, je choisis les croquignoles.

          Allons, préparez-vous,           Et comptez bien les coups.

Les archers danseurs lui donnent des croquignoles en cadence.

polichinelle ,  pendant qu’on lui donne des croquignoles.

Un et deux, trois et quatre, cinq et six, sept et huit, neuf et dix, onze et douze, et treize, et quatorze et quinze.

        Ah ! ah ! vous en voulez passer !         Allons, c’est à recommencer.

Ah ! messieurs, ma pauvre tête n’en peut plus, et vous venez de me la rendre comme une pomme cuite. J’aime mieux encore les coups de bâton que de recommencer.

    Soit, puisque le bâton est pour vous plus charmant,         Vous aurez contentement.

Les archers danseurs lui donnent des coups de bâton en cadence.

polichinelle ,  comptant les coups de bâton.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Ah, ah, ah ! je n’y saurois plus résister. Tenez, messieurs, voilà six pistoles que je vous donne.

       Ah ! l’honnête homme ! Ah ! l’ame noble et belle !      Adieu, seigneur ; adieu, seigneur Polichinelle.

Messieurs, je vous donne le bonsoir.

     Adieu, seigneur ; adieu, seigneur Polichinelle.

Votre serviteur.

Très humble valet.

Jusqu’au revoir.

Ils dansent tous, en réjouissance de l’argent qu’ils ont reçu.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

(Le théâtre représente la chambre d’Argan.)

CLÉANTE, TOINETTE.

toinette ,  ne reconnoissant pas Cléante.

Que demandez-vous, monsieur ?

Ce que je demande ?

Ah ! ah ! c’est vous ! Quelle surprise ! Que venez-vous faire céans ?

Savoir ma destinée, parler à l’aimable Angélique, consulter les sentiments de son cœur, et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal dont on m’a averti.

Oui ; mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique : il faut des mystères, et l’on vous a dit l’étroite garde où elle est retenue ; qu’on ne la laisse ni sortir, ni parler à personne ; et que ce ne fut que la curiosité d’une vieille tante qui nous fit accorder la liberté d’aller à cette comédie, qui donna lieu à la naissance de votre passion ; et nous nous sommes bien gardées de parler de cette aventure.

Aussi ne viens-je pas ici comme Cléante, et sous l’apparence de son amant ; mais comme ami de son maître de musique, dont j’ai obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoie à sa place.

Voici son père. Retirez-vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là.

argan ,  se croyant seul, et sans voir Toinette.

Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin, dans ma chambre, douze allées et douze venues ; mais j’ai oublié à lui demander si c’est en long ou en large.

Monsieur, voilà un…

Parle bas, pendarde ! tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut point parler si haut à des malades.

Je voulois vous dire, monsieur…

Parle bas, te dis-je.

(Elle fait semblant de parler.)

Je vous dis que…

(Elle fait encore semblant de parler.)

Qu’est-ce que tu dis ?

toinette ,  haut.

Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.

Qu’il vienne.

Toinette fait signe à Cléante d’avancer.

ARGAN, CLÉANTE, TOINETTE.

toinette ,  à Cléante.

Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de monsieur.

Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout, et de voir que vous vous portez mieux.

toinette ,  feignant d’être en colère.

Comment ! qu’il se porte mieux ! cela est faux. Monsieur se porte toujours mal.

J’ai ouï dire que monsieur étoit mieux ; et je lui trouve bon visage.

Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais ; et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu’il étoit mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.

Elle a raison.

Il marche, dort, mange et boit tout comme les autres ; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit fort malade.

Cela est vrai.

Monsieur, j’en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de mademoiselle votre fille ; il s’est vu obligé d’aller à la campagne pour quelques jours ; et, comme son ami intime, il m’envoie à sa place pour lui continuer ses leçons, de peur qu’en les interrompant, elle ne vînt à oublier ce qu’elle sait déjà.

Fort bien.  (À Toinette.)  Appelez Angélique.

Je crois, monsieur, qu’il sera mieux de mener monsieur à sa chambre.

Non. Faites-la venir.

Il ne pourra lui donner leçon comme il faut, s’ils ne sont en particulier.

Si fait, si fait.

Monsieur, cela ne fera que vous étourdir ; et il ne faut rien pour vous émouvoir en l’état où vous êtes, et vous ébranler le cerveau.

Point, point : j’aime la musique ; et je serai bien aise de… Ah ! la voici.  (À Toinette.)  Allez-vous-en voir, vous, si ma femme est habillée.

ARGAN, ANGÉLIQUE, CLÉANTE.

Venez, ma fille. Votre maître de musique est allé aux champs ; et voilà une personne qu’il envoie à sa place pour vous montrer.

angélique ,  reconnoissant Cléante.

Ah ciel !

Qu’est-ce ? D’où vient cette surprise ?

Quoi ! qui vous émeut de la sorte ?

C’est, mon père, une aventure surprenante qui se rencontre ici.

Comment ?

J’ai songé cette nuit que j’étois dans le plus grand embarras du monde, et qu’une personne, faite tout comme monsieur, s’est présentée à moi, à qui j’ai demandé secours, et qui m’est venue tirer de la peine où j’étois ; et ma surprise a été grande de voir inopinément, en arrivant ici, ce que j’ai eu dans l’idée toute la nuit.

Ce n’est pas être malheureux que d’occuper votre pensée, soit en dormant, soit en veillant ; et mon bonheur seroit grand sans doute, si vous étiez dans quelque peine dont vous me jugeassiez digne de vous tirer, et il n’y a rien que je ne fisse pour…

ARGAN, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE.

Ma foi, monsieur, je suis pour vous maintenant ; et je me dédis de tout ce que je disois hier. Voici monsieur Diafoirus le père et monsieur Diafoirus le fils, qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n’a dit que deux mots, qui m’ont ravie ; et votre fille va être charmée de lui.

argan ,  à Cléante, qui feint de vouloir s’en aller.

Ne vous en allez point, monsieur. C’est que je marie ma fille ; et voilà qu’on lui amène son prétendu mari, qu’elle n’a point encore vu.

C’est m’honorer beaucoup, monsieur, de vouloir que je sois témoin d’une entrevue si agréable.

C’est le fils d’un habile médecin ; et le mariage se fera dans quatre jours.

Mandez-le un peu à son maître de musique, afin qu’il se trouve à la noce.

Je n’y manquerai pas.

Je vous y prie aussi.

Vous me faites beaucoup d’honneur.

Allons, qu’on se range : les voici.

MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, ARGAN, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE, LAQUAIS.

argan ,  mettant la main à son bonnet, sans l’ôter.

Monsieur Purgon, monsieur, m’a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier : vous savez les conséquences.

monsieur diafoirus.

Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l’incommodité.

(Argan et monsieur Diafoirus parlent en même temps.)

Je reçois, monsieur,

Nous venons ici, monsieur,

Avec beaucoup de joie,

Mon fils Thomas et moi,

L’honneur que vous me faites,

Vous témoigner, monsieur,

Et j’aurois souhaité…

Le ravissement où nous sommes…

De pouvoir aller chez vous…

De la grace que vous nous faites…

Pour vous en assurer.

De vouloir bien nous recevoir…

Mais vous savez, monsieur…

Dans l’honneur, monsieur,

Ce que c’est qu’un pauvre malade,

De votre alliance ;

Qui ne peut faire autre chose…

Et vous assurer…

Que de vous dire ici…

Que, dans les choses qui dépendront de notre métier

Qu’il cherchera toutes les occasions

De même qu’en toute autre,

De vous faire connoître, monsieur,

Nous serons toujours prêts, monsieur,

Qu’il est tout à votre service.

À vous témoigner notre zèle.  (À son fils.)  Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments.

thomas diafoirus ,  à monsieur Diafoirus.

N’est-ce pas par le père qu’il convient de commencer ?

thomas diafoirus ,  à Argan.

Monsieur, je viens saluer, reconnoître, chérir et révérer en vous un second père, mais un second père auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a engendré ; mais vous m’avez choisi. Il m’a reçu par nécessité ; mais vous m’avez accepté par grace . Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et, d’autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et d’autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd’hui vous rendre, par avance, les très humbles et très respectueux hommages.

Vivent les collèges d’où l’on sort si habile homme !

thomas diafoirus ,  à Monsieur Diafoirus.

Cela a-t-il bien été, mon père ?

Allons, saluez monsieur.

Baiserai-je?

thomas diafoirus ,  à Angélique.

Madame, c’est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l’on…

argan ,  à Thomas Diafoirus.

Ce n’est pas ma femme, c’est ma fille à qui vous parlez.

thomas diafoirus.

Où donc est-elle ?

Elle va venir.

Attendrai-je, mon père, qu’elle soit venue ?

Faites toujours le compliment de mademoiselle.

Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendoit un son harmonieux lorsqu’elle venoit à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d’un doux transport à l’apparition du soleil de vos beautés ; et, comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, mademoiselle, que j’appende aujourd’hui à l’autel de vos charmes l’offrande de ce cœur qui ne respire et n’ambitionne autre gloire que d’être toute sa vie, mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et mari.

Voilà ce que c’est que d’étudier ! on apprend à dire de belles choses.

argan ,  à Cléante.

Hé ! que dites-vous de cela ?

Que monsieur fait merveilles, et que, s’il est aussi bon médecin qu’il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades.

Assurément. Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures qu’il fait de beaux discours.

Allons, vite, ma chaise, et des sièges à tout le monde.  (Des laquais donnent des sièges.)  Mettez-vous là, ma fille.  (À monsieur Diafoirus.)  Vous voyez, monsieur, que tout le monde admire monsieur votre fils ; et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme cela.

Monsieur, ce n’est pas parceque je suis son père ; mais je puis dire que j’ai sujet d’être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d’un garçon qui n’a point de méchanceté. Il n’a jamais eu l’imagination bien vive, ni ce feu d’esprit qu’on remarque dans quelques-uns ; mais c’est par là que j’ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l’exercice de notre art. Lorsqu’il étoit petit, il n’a jamais été ce qu’on appelle mièvre et éveillé. On le voyoit toujours doux, paisible et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l’on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire ; et il avoit neuf ans, qu’il ne connoissoit pas encore ses lettres. Bon, disois-je en moi-même : les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps ; et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d’imagination, est la marque d’un bon jugement à venir. Lorsque je l’envoyai au collège, il trouva de la peine ; mais il se roidissoit contre les difficultés ; et ses régents se louoient toujours à moi de son assiduité et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences ; et je puis dire, sans vanité, que, depuis deux ans qu’il est sur les bancs, il n’y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre école. Il s’y est rendu redoutable ; et il ne s’y passe point d’acte où il n’aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais, sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine.

thomas diafoirus ,  tirant de sa poche une grande thèse roulée, qu’il présente à Angélique.

J’ai, contre les circulateurs, soutenu une thèse, qu’avec la permission  (saluant Argan)  de monsieur, j’ose présenter à mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.

Monsieur, c’est pour moi un meuble inutile, et je ne me connois pas à ces choses-là.

toinette ,  prenant la thèse.

Donnez, donnez. Elle est toujours bonne à prendre pour l’image : cela servira à parer notre chambre.

thomas diafoirus ,  saluant encore Argan.

Avec la permission aussi de monsieur, je vous invite à venir voir, l’un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d’une femme, sur quoi je dois raisonner.

Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant.

Au reste, pour ce qui est des qualités requises pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est tel qu’on le peut souhaiter ; qu’il possède en un degré louable la vertu prolifique, et qu’il est du tempérament qu’il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés.

N’est-ce pas votre intention, monsieur, de le pousser à la cour, et d’y ménager pour lui une charge de médecin ?

À vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m’a jamais paru agréable ; et j’ai toujours trouvé qu’il valoit mieux pour nous autres demeurer au public. Le public est commode. Vous n’avez à répondre de vos actions à personne ; et, pourvu que l’on suive le courant des règles de l’art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu’il y a de fâcheux auprès des grands, c’est que, quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent.

Cela est plaisant ! et ils sont bien impertinents de vouloir que, vous autres messieurs, vous les guérissiez. Vous n’êtes point auprès d’eux pour cela ; vous n’y êtes que pour recevoir vos pensions et leur ordonner des remèdes ; c’est à eux à guérir s’ils peuvent.

Cela est vrai. On n’est obligé qu’à traiter les gens dans les formes.

Monsieur, faites un peu chanter ma fille devant la compagnie.

J’attendois vos ordres, monsieur ; et il m’est venu en pensée, pour divertir la compagnie, de chanter avec mademoiselle une scène d’un petit opéra qu’on a fait depuis peu.  (À Angélique, lui donnant un papier.)  Tenez, voilà votre partie.

cléante ,  bas, à Angélique.

Ne vous défendez point, s’il vous plaît, et me laissez vous faire comprendre ce que c’est que la scène que nous devons chanter.  (Haut.)  Je n’ai pas une voix à chanter ; mais ici il suffit que je me fasse entendre ; et l’on aura la bonté de m’excuser, par la nécessité où je me trouve de faire chanter mademoiselle.

Les vers en sont-ils beaux ?

C’est proprement ici un petit opéra impromptu ; et vous n’allez entendre chanter que de la prose cadencée, ou des manières de vers libres, tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes, et parlent sur-le-champ.

Fort bien. Écoutons.

Voici le sujet de la scène. Un berger étoit attentif aux beautés d’un spectacle qui ne faisoit que de commencer, lorsqu’il fut tiré de son attention par un bruit qu’il entendit à ses côtés. Il se retourne, et voit un brutal qui, de paroles insolentes, maltraitoit une bergère. D’abord il prend les intérêts d’un sexe à qui tous les hommes doivent hommage ; et, après avoir donné au brutal le châtiment de son insolence, il vient à la bergère, et voit une jeune personne qui, des deux plus beaux yeux qu’il eût jamais vus, versoit des larmes qu’il trouva les plus belles du monde. Hélas ! dit-il en lui-même, est-on capable d’outrager une personne si aimable ! Et quel inhumain, quel barbare ne seroit touché par de telles larmes ? Il prend soin de les arrêter, ces larmes qu’il trouve si belles ; et l’aimable bergère prend soin, en même temps, de le remercier de son léger service, mais d’une manière si charmante, si tendre et si passionnée, que le berger n’y peut résister ; et chaque mot, chaque regard, est un trait plein de flamme dont son cœur se sent pénétré. Est-il, disoit-il, quelque chose qui puisse mériter les aimables paroles d’un tel remercîment ? Et que ne voudroit-on pas faire, à quels services, à quels dangers ne seroit-on pas ravi de courir, pour s’attirer un seul moment, des touchantes douceurs d’une ame si reconnoissante ? Tout le spectacle passe sans qu’il y donne aucune attention ; mais il se plaint qu’il est trop court, parcequ’en finissant il le sépare de son adorable bergère ; et, de cette première vue, de ce premier moment, il emporte chez lui tout ce qu’un amour de plusieurs années peut avoir de plus violent. Le voilà aussitôt à sentir tous les maux de l’absence, et il est tourmenté de ne plus voir ce qu’il a si peu vu. Il fait tout ce qu’il peut pour se redonner cette vue, dont il conserve nuit et jour une si chère idée ; mais la grande contrainte où l’on tient sa bergère lui en ôte tous les moyens. La violence de sa passion le fait résoudre à demander en mariage l’adorable beauté sans laquelle il ne peut plus vivre ; et il en obtient d’elle la permission, par un billet qu’il a l’adresse de lui faire tenir. Mais, dans le même temps, on l’avertit que le père de cette belle a conclu son mariage avec un autre, et que tout se dispose pour en célébrer la cérémonie. Jugez quelle atteinte cruelle au cœur de ce triste berger ! Le voilà accablé d’une mortelle douleur ; il ne peut souffrir l’effroyable idée de voir tout ce qu’il aime entre les bras d’un autre ; et son amour, au désespoir, lui fait trouver moyen de s’introduire dans la maison de sa bergère pour apprendre ses sentiments, et savoir d’elle la destinée à laquelle il doit se résoudre. Il y rencontre les apprêts de tout ce qu’il craint ; il y voit venir l’indigne rival que le caprice d’un père oppose aux tendresses de son amour ; il le voit triomphant, ce rival ridicule, auprès de l’aimable bergère, ainsi qu’auprès d’une conquête qui lui est assurée ; et cette vue le remplit d’une colère dont il a peine à se rendre le maître. Il jette de douloureux regards sur celle qu’il adore ; et son respect et la présence de son père l’empêchent de lui rien dire que des yeux. Mais enfin il force toute contrainte, et le transport de son amour l’oblige à lui parler ainsi :

(Il chante.)

  Belle Philis, c’est trop, c’est trop souffrir ; Rompons ce dur silence, et m’ouvrez vos pensées.     Apprenez-moi ma destinée :     Faut-il vivre ? Faut-il mourir ?

angélique ,  en chantant.

Vous me voyez, Tircis, triste et mélancolique, Aux apprêts de l’hymen dont vous vous alarmez :

Je lève au ciel les yeux, je vous regarde, je soupire :        C’est vous en dire assez.

Ouais ! je ne croyois pas que ma fille fût si habile, que de chanter ainsi à livre ouvert, sans hésiter.

       Hélas ! belle Philis,   Se pourroit-il que l’amoureux Tircis        Eût assez de bonheur   Pour avoir quelque place dans votre cœur ?

Je ne m’en défends point dans cette peine extrême :

       Oui, Tircis, je vous aime.

     Ô parole pleine d’appas !      Ai-je bien entendu ? Hélas !    Redites-la, Philis ; que je n’en doute pas.

       De grace, encor, Philis !

          Je vous aime.

Recommencez cent fois ; ne vous en lassez pas.

     Je vous aime, je vous aime ;        Oui, Tircis, je vous aime.

Dieux, rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde, Pouvez-vous comparer votre bonheur au mien ?      Mais, Philis, une pensée      Vient troubler ce doux transport.       Un rival, un rival…

    Ah ! je le hais plus que la mort ;     Et sa présence, ainsi qu’à vous,       M’est un cruel supplice.

Mais un père à ses vœux vous veut assujettir.

    Plutôt, plutôt mourir,   Que de jamais y consentir ; Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir !

Et que dit le père à tout cela ?

Il ne dit rien.

Voilà un sot père que ce père-là, de souffrir toutes ces sottises-là sans rien dire !

cléante ,  voulant continuer à chanter.

      Ah ! mon amour…

Non, non ; en voilà assez. Cette comédie-là est de fort mauvais exemple. Le berger Tircis est un impertinent, et la bergère Philis une impudente de parler de la sorte devant son père.  (À Angélique.)  Montrez-moi ce papier. Ah ! ah ! où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n’y a là que de la musique écrite.

Est-ce que vous ne savez pas, monsieur, qu’on a trouvé, depuis peu, l’invention d’écrire les paroles avec les notes mêmes ?

Fort bien. Je suis votre serviteur, monsieur ; jusqu’au revoir. Nous nous serions bien passés de votre impertinent d’opéra.

J’ai cru vous divertir.

Les sottises ne divertissent point. Ah ! voici ma femme.

BÉLINE, ARGAN, ANGÉLIQUE, MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, TOINETTE.

M’amour, voilà le fils de monsieur Diafoirus.

Madame, c’est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l’on voit sur votre visage…

Monsieur, je suis ravie d’être venue ici à propos, pour avoir l’honneur de vous voir.

Puisque l’on voit sur votre visage… puisque l’on voit sur votre visage… Madame, vous m’avez interrompu dans le milieu de ma période, et cela m’a troublé la mémoire.

Thomas, réservez cela pour une autre fois.

Je voudrois, ma mie, que vous eussiez été ici tantôt.

Ah ! madame, vous avez bien perdu de n’avoir point été au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope.

Allons, ma fille, touchez dans la main de monsieur, et lui donnez votre foi, comme à votre mari.

Mon père !

Hé bien ! mon père ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

De grace, ne précipitez pas les choses. Donnez-nous au moins le temps de nous connoître, et de voir naître en nous, l’un pour l’autre, cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite.

Quant à moi, mademoiselle, elle est déjà toute née en moi ; et je n’ai pas besoin d’attendre davantage.

Si vous êtes si prompt, monsieur, il n’en est pas de même de moi ; et je vous avoue que votre mérite n’a pas encore assez fait d’impression dans mon ame.

Oh ! bien, bien ; cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble.

Hé ! mon père, donnez-moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne où l’on ne doit jamais soumettre un cœur par force ; et, si monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne qui seroit à lui par contrainte.

Nego consequentiam , mademoiselle ; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de monsieur votre père.

C’est un méchant moyen de se faire aimer de quelqu’un, que de lui faire violence.

Nous lisons des anciens, mademoiselle, que leur coutume étoit d’enlever par force, de la maison des pères, les filles qu’on menoit marier, afin qu’il ne semblât pas que ce fût de leur consentement qu’elles convoloient dans les bras d’un homme.

Les anciens, monsieur, sont les anciens ; et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle ; et, quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller, sans qu’on nous y traîne. Donnez-vous patience ; si vous m’aimez, monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

Oui, mademoiselle, jusqu’aux intérêts de mon amour exclusivement.

Mais la grande marque d’amour, c’est d’être soumis aux volontés de celle qu’on aime.

Distinguo , mademoiselle. Dans ce qui ne regarde point sa possession,  concedo  ;  mais dans ce qui la regarde,  nego .

Vous avez beau raisonner. Monsieur est frais émoulu du collège ; et il vous donnera toujours votre reste. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d’être attachée au corps de la Faculté ?

Elle a peut-être quelque inclination en tête.

Si j’en avois, madame, elle seroit telle que la raison et l’honnêteté pourroient me la permettre.

Ouais ! je joue ici un plaisant personnage !

Si j’étois que de vous, mon fils, je ne la forcerois point de se marier ; et je sais bien ce que je ferois.

Je sais, madame, ce que vous voulez dire, et les bontés que vous avez pour moi ; mais peut-être que vos conseils ne seront pas assez heureux pour être exécutés.

C’est que les filles bien sages et bien honnêtes, comme vous, se moquent d’être obéissantes et soumises aux volontés de leurs pères. Cela étoit bon autrefois.

Le devoir d’une fille a des bornes, madame ; et la raison et les lois ne l’étendent point à toutes sortes de choses.

C’est-à-dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un époux à votre fantaisie.

Si mon père ne veut pas me donner un mari qui me plaise, je le conjurerai, au moins, de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer.

Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci.

Chacun a son but en se mariant. Pour moi, qui ne veux un mari que pour l’aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l’attachement de ma vie, je vous avoue que j’y cherche quelque précaution. Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu’elles voudront. Il y en a d’autres, madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt ; qui ne se marient que pour gagner des douaires, que pour s’enrichir par la mort de ceux qu’elles épousent, et courent sans scrupules de mari en mari, pour s’approprier leurs dépouilles. Ces personnes-là, à la vérité, n’y cherchent pas tant de façons, et regardent peu à la personne.

Je vous trouve aujourd’hui bien raisonnante, et je voudrois bien savoir ce que vous voulez dire par là.

Moi, madame ? Que voudrois-je dire que ce que je dis ?

Vous êtes si sotte, ma mie, qu’on ne sauroit plus vous souffrir.

Vous voudriez bien, madame, m’obliger à vous répondre quelque impertinence ; mais je vous avertis que vous n’aurez pas cet avantage.

Il n’est rien d’égal à votre insolence.

Non, madame, vous avez beau dire.

Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde.

Tout cela, madame, ne servira de rien. Je serai sage en dépit de vous ; et, pour vous ôter l’espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m’ôter de votre vue.

ARGAN, BÉLINE, MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, TOINETTE.

argan ,  à Angélique, qui sort.

Écoute. Il n’y a point de milieu à cela : choisis d’épouser dans quatre jours ou monsieur, ou un couvent.  (À Béline.)  Ne vous mettez pas en peine : je la rangerai bien.

Je suis fâchée de vous quitter, mon fils ; mais j’ai une affaire en ville, dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt.

Allez, m’amour ; et passez chez votre notaire, afin qu’il expédie ce que vous savez.

Adieu, mon petit ami.

Adieu, ma mie.

ARGAN, MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, TOINETTE.

Voilà une femme qui m’aime… cela n’est pas croyable.

Nous allons, monsieur, prendre congé de vous.

Je vous prie, monsieur, de me dire un peu comment je suis.

monsieur diafoirus ,  tâtant le pouls d’Argan.

Allons, Thomas, prenez l’autre bras de monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls.  Quid dicis ?

Dico  que le pouls de monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien.

Qu’il est duriuscule, pour ne pas dire dur.

Repoussant.

Et même un peu caprisant.

Ce qui marque une intempérie dans le  parenchyme splénique , c’est-à-dire la rate.

Non : monsieur Purgon dit que c’est mon foie qui est malade.

Eh oui : qui dit  parenchyme  dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble par le moyen du  vas breve , du  pylore , et souvent des  méats cholidoques . Il vous ordonne sans doute de manger force rôti.

Non ; rien que du bouilli.

Eh oui : rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être entre de meilleures mains.

Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ?

Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments, par les nombres impairs.

Jusqu’au revoir, monsieur.

Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose, à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant par devant la chambre d’Angélique, j’ai vu un jeune homme avec elle qui s’est sauvé d’abord qu’il m’a vue.

Un jeune homme avec ma fille !

Oui. Votre petite fille Louison étoit avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles.

Envoyez-la ici, m’amour, envoyez-la ici. Ah ! l’effrontée !  (Seul.)  Je ne m’étonne plus de sa résistance.

ARGAN, LOUISON.

Qu’est-ce que vous voulez, mon papa ? ma belle-maman m’a dit que vous me demandez.

Oui. Venez çà. Avancez là. Tournez-vous. Levez les yeux. Regardez-moi. Hé ?

Quoi, mon papa ?

N’avez-vous rien à me dire ?

Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de  Peau d’Âne , ou bien la fable du  Corbeau et du Renard , qu’on m’a apprise depuis peu.

Ce n’est pas là ce que je demande.

Quoi donc ?

Ah ! rusée, vous savez bien ce que je veux dire !

Pardonnez-moi, mon papa.

Est-ce là comme vous m’obéissez ?

Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez ?

Oui, mon papa.

L’avez-vous fait ?

Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j’ai vu.

Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui ?

Non, mon papa.

Assurément ?

Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi.

louison ,  voyant une poignée de verges qu’Argan a été prendre.

Ah ! mon papa !

Ah ! ah ! petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur !

louison ,  pleurant.

Mon papa !

argan ,  prenant Louison par le bras.

Voici qui vous apprendra à mentir.

louison ,  se jetant à genoux.

Ah ! mon papa, je vous demande pardon. C’est que ma sœur m’avoit dit de ne pas vous le dire ; mais je m’en vais vous dire tout.

Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste.

Pardon, mon papa.

Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet.

Vous l’aurez.

Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l’aie pas !

argan ,  voulant la fouetter.

Allons, allons.

Ah ! mon papa, vous m’avez blessée. Attendez : je suis morte.

(Elle contrefait la morte.)

Holà ! Qu’est-ce là ? Louison, Louison ! Ah ! mon Dieu ! Louison ! Ah ! ma fille ! Ah ! malheureux ! ma pauvre fille est morte ! Qu’ai-je fait, misérable ! Ah ! chiennes de verges ! La peste soit des verges ! Ah ! ma pauvre fille, ma pauvre petite Louison !

Là, là, mon papa, ne pleurez point tant : je ne suis pas morte tout à fait.

Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.

Oh ! oui, mon papa.

Prenez-y bien garde, au moins ; car voilà un petit doigt qui sait tout, et qui me dira si vous mentez.

Mais, mon papa, ne dites pas à ma sœur que je vous l’ai dit.

louison ,  après avoir écouté si personne n’écoute.

C’est, mon papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma sœur comme j’y étois.

Hé bien ?

Je lui ai demandé ce qu’il demandoit, et il m’a dit qu’il étoit son maître à chanter.

argan ,  à part.

Hom ! hom ! voilà l’affaire.  (À Louison.)  Hé bien ?

Ma sœur est venue après.

Elle lui a dit : Sortez, sortez, sortez. Mon Dieu, sortez ; vous me mettez au désespoir.

Et lui, il ne vouloit pas sortir.

Qu’est-ce qu’il lui disoit ?

Il lui disoit je ne sais combien de choses.

Et quoi encore ?

Il lui disoit tout-ci, tout-ça, qu’il l’aimoit bien, et qu’elle étoit la plus belle du monde.

Et puis après ?

Et puis après, il se mettoit à genoux devant elle.

Et puis après, il lui baisoit les mains.

Et puis après, ma belle-maman est venue à la porte, et il s’est enfui.

Il n’y a point autre chose ?

Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose.  (Mettant son doigt à son oreille.)  Attendez. Hé ! Ah, ah ! Oui ? Oh, oh ! Voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m’avez pas dit.

Ah ! mon papa, votre petit doigt est un menteur.

Prenez garde.

Non, mon papa ; ne le croyez pas : il ment, je vous assure.

Oh bien, bien, nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à tout : allez.  (Seul.)  Ah ! il n’y a plus d’enfants ! Ah ! que d’affaires ! Je n’ai pas seulement le loisir de songer à ma maladie. En vérité, je n’en puis plus.

(Il se laisse tomber dans une chaise.)

BÉRALDE, ARGAN

Hé bien, mon frère ! qu’est-ce ? Comment vous portez-vous ?

Ah ! mon frère, fort mal.

Comment ! fort mal ?

Oui, je suis dans une foiblesse si grande, que cela n’est pas croyable.

Voilà qui est fâcheux.

Je n’ai pas seulement la force de pouvoir parler.

J’étois venu ici, mon frère, vous proposer un parti pour ma nièce Angélique.

argan ,  parlant avec emportement, et se levant de sa chaise.

Mon frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C’est une friponne, une impertinente, une effrontée, que je mettrai dans un couvent avant qu’il soit deux jours.

Ah ! voilà qui est bien ! Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d’affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement que j’ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l’ame mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens vêtus en Mores, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir ; et cela vaudra bien une ordonnance de monsieur Purgon. Allons.

SECOND INTERMÈDE.

Le frère du Malade imaginaire lui amène, pour le divertir, plusieurs Égyptiens et Égyptiennes, vêtus en Mores, qui font des danses entremêlées de chansons.

première femme more.

            Profitez du printemps               De vos beaux ans,              Aimable jeunesse ;             Profitez du printemps               De vos beaux ans ;           Donnez-vous à la tendresse.

          Les plaisirs les plus charmants,             Sans l’amoureuse flamme,           Pour contenter une ame,         N’ont point d’attraits assez puissants.

            Profitez du printemps               De vos beaux ans,              Aimable jeunesse ;             Profitez du printemps               De vos beaux ans ;           Donnez-vous à la tendresse.         Ne perdez point ces précieux moments.

               La beauté passe,                Le temps l’efface ;                L’âge de glace                Vient à sa place,         Qui nous ôte le goût de ces doux passe-temps.

            Profitez du printemps               De vos beaux ans,

             Aimable jeunesse ;             Profitez du printemps               De vos beaux ans ;           Donnez-vous à la tendresse.

Danse des Égyptiens et des Égyptiennes.

seconde femme more.

          Quand d’aimer on nous presse,             À quoi songez-vous ?           Nos cœurs, dans la jeunesse,             N’ont vers la tendresse             Qu’un penchant trop doux.           L’amour a, pour nous prendre,             De si doux attraits,           Que, de soi, sans attendre,             On voudroit se rendre            À ses premiers traits ;           Mais tout ce qu’on écoute            Des vives douleurs           Et des pleurs qu’il nous coûte,            Fait qu’on en redoute            Toutes les douceurs.

troisième femme more.

          Il est doux, à notre âge,            D’aimer tendrement               Un amant               Qui s’engage ;            Mais, s’il est volage,            Hélas ! quel tourment !

quatrième femme more.

          L’amant qui se dégage            N’est pas le malheur ;              La douleur              Et la rage,            C’est que le volage            Garde notre cœur.

          Quel parti faut-il prendre            Pour nos jeunes cœurs ?

          Devons-nous nous y rendre,            Malgré ses rigueurs ?

          Oui, suivons ses ardeurs,           Ses transports, ses caprices,

          Ses douces langueurs :          S’il a quelques supplices,           Il a cent délices           Qui charment les cœurs.

Tous les Mores dansent ensemble, et font sauter des singes qu’ils ont amenés avec eux.

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE TROISIÈME.

BÉRALDE, ARGAN, TOINETTE.

Hé bien ! mon frère, qu’en dites-vous ? Cela ne vaut-il pas bien une prise de casse ?

Hom ! de bonne casse est bonne.

Oh çà ! voulez-vous que nous parlions un peu ensemble ?

Un peu de patience, mon frère : je vais revenir.

Tenez, monsieur, vous ne songez pas que vous ne sauriez marcher sans bâton.

Tu as raison.

BÉRALDE, TOINETTE.

N’abandonnez pas, s’il vous plaît, les intérêts de votre nièce.

J’emploierai toutes choses pour lui obtenir ce qu’elle souhaite.

Il faut absolument empêcher ce mariage extravagant qu’il s’est mis dans la fantaisie ; et j’avois songé en moi-même que ç’auroit été une bonne affaire, de pouvoir introduire ici un médecin à notre poste, pour le dégoûter de son monsieur Purgon, et lui décrier sa conduite. Mais, comme nous n’avons personne en main pour cela, j’ai résolu de jouer un tour de ma tête.

C’est une imagination burlesque. Cela sera peut-être plus heureux que sage. Laissez-moi faire. Agissez de votre côté. Voici notre homme.

ARGAN, BÉRALDE.

Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande, avant toute chose, de ne vous point échauffer l’esprit dans notre conversation ?

Voilà qui est fait.

De répondre sans nulle aigreur aux choses que je pourrai vous dire ?

Et de raisonner ensemble sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion.

Mon Dieu ! oui. Voilà bien du préambule.

D’où vient, mon frère, qu’ayant le bien que vous avez et n’ayant d’enfants qu’une fille, car je ne compte pas la petite ; d’où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un couvent ?

D’où vient, mon frère, que je suis maître dans ma famille, pour faire ce que bon me semble ?

Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles ; et je ne doute point que, par un esprit de charité, elle ne fût ravie de les voir toutes deux bonnes religieuses.

Oh çà ! nous y voici. Voilà tout d’abord la pauvre femme en jeu. C’est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut.

Non, mon frère ; laissons-la là : c’est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour votre famille, et qui est détachée de toute sorte d’intérêt ; qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre pour vos enfants une affection et une bonté qui n’est pas concevable : cela est certain. N’en parlons point, et revenons à votre fille. Sur quelle pensée, mon frère, la voulez-vous donner en mariage au fils d’un médecin ?

Sur la pensée, mon frère, de me donner un gendre tel qu’il me faut.

Ce n’est point là, mon frère, le fait de votre fille ; et il se présente un parti plus sortable pour elle.

Oui ; mais celui-ci, mon frère, est plus sortable pour moi.

Mais le mari qu’elle doit prendre doit-il être, mon frère, ou pour elle, ou pour vous ?

Il doit être, mon frère, et pour elle et pour moi ; et je veux mettre dans ma famille les gens dont j’ai besoin.

Par cette raison-là, si votre petite étoit grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire.

Pourquoi non ?

Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins, et que vous vouliez être malade en dépit des gens et de la nature !

Comment l’entendez-vous, mon frère ?

J’entends, mon frère, que je ne vois point d’homme qui soit moins malade que vous, et que je ne demanderois point une meilleure constitution que la vôtre. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien composé, c’est qu’avec tous les soins que vous avez pris, vous n’avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n’êtes point crevé de toutes les médecines qu’on vous a fait prendre.

Mais savez-vous, mon frère, que c’est cela qui me conserve ; et que monsieur Purgon dit que je succomberois, s’il étoit seulement trois jours sans prendre soin de moi ?

Si vous n’y prenez garde, il prendra tant de soin de vous, qu’il vous envoiera en l’autre monde.

Mais raisonnons un peu, mon frère. Vous ne croyez donc point à la médecine ?

Non, mon frère ; et je ne vois pas que, pour son salut, il soit nécessaire d’y croire.

Quoi ! vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée ?

Bien loin de la tenir véritable, je la trouve, entre nous, une des plus grandes folies qui soient parmi les hommes ; et, à regarder les choses en philosophe, je ne vois point une plus plaisante momerie, je ne vois rien de plus ridicule, qu’un homme qui se veut mêler d’en guérir un autre.

Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu’un homme en puisse guérir un autre ?

Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes ne voient goutte ; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connoître quelque chose.

Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ?

Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent pas du tout.

Mais toujours faut-il demeurer d’accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres.

Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand’chose : et toute l’excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.

Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous ; et nous voyons que, dans la maladie, tout le monde a recours aux médecins.

C’est une marque de la foiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art.

Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu’ils s’en servent pour eux-mêmes.

C’est qu’il y en a parmi eux qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent ; et d’autres qui en profitent sans y être. Votre monsieur Purgon, par exemple, n’y sait point de finesse ; c’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds ; un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croiroit du crime à les vouloir examiner ; qui ne voit rien d’obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile ; et qui, avec une impétuosité de prévention, une roideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Il ne lui faut point vouloir mal de tout ce qu’il pourra vous faire : c’est de la meilleure foi du monde qu’il vous expédiera ; et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il feroit à lui-même.

C’est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais, enfin, venons au fait. Que faire donc quand on est malade ?

Rien, mon frère.

Rien ?

Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout ; et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.

Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines choses.

Mon Dieu, mon frère, ce sont de pures idées dont nous aimons à nous repaître ; et de tout temps il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parcequ’elles nous flattent et qu’il seroit à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit, et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années, il vous dit justement le roman de la médecine. Mais, quand vous en venez à la vérité et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela ; et il en est comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.

C’est-à-dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête ; et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.

Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes.

Ouais ! vous êtes un grand docteur, à ce que je vois ; et je voudrois bien qu’il y eût ici quelqu’un de ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements, et rabaisser votre caquet.

Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine ; et chacun, à ses périls et fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous ; et j’aurois souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu’une des comédies de Molière.

C’est un bon impertinent que votre Molière, avec ses comédies ! et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins !

Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.

C’est bien à lui à faire, de se mêler de contrôler la médecine ! Voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces messieurs-là !

Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.

Par la mort non de diable ! si j’étois que des médecins, je me vengerois de son impertinence ; et, quand il sera malade, je le laisserois mourir sans secours. Il auroit beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerois pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirois : Crève, crève ; cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté.

Vous voilà bien en colère contre lui.

Oui. C’est un malavisé ; et si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis.

Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours.

Tant pis pour lui, s’il n’a point recours aux remèdes.

Il a ses raisons pour n’en point vouloir, et il soutient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que pour lui, il n’a justement de la force que pour porter son mal.

Les sottes raisons que voilà ! Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage ; car cela m’échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal.

Je le veux bien, mon frère ; et, pour changer de discours, je vous dirai que, sur une petite répugnance que vous témoigne votre fille, vous ne devez point prendre les résolutions violentes de la mettre dans un couvent ; que, pour le choix d’un gendre, il ne faut pas suivre aveuglément la passion qui vous emporte ; et qu’on doit, sur cette matière, s’accommoder un peu à l’inclination d’une fille, puisque c’est pour toute la vie, et que de là dépend tout le bonheur d’un mariage.

MONSIEUR FLEURANT, une seringue à la main, ARGAN, BÉRALDE.

Ah ! mon frère, avec votre permission…

Comment ? Que voulez-vous faire ?

Prendre ce petit lavement-là : ce sera bientôt fait.

Vous vous moquez. Est-ce que vous ne sauriez être un moment sans lavement ou sans médecine ? Remettez cela à une autre fois, et demeurez un peu en repos.

Monsieur Fleurant, à ce soir, ou à demain au matin.

monsieur fleurant ,  à Béralde.

De quoi vous mêlez-vous, de vous opposer aux ordonnances de la médecine, et d’empêcher monsieur de prendre mon clystère ? Vous êtes bien plaisant d’avoir cette hardiesse-là !

Allez, monsieur ; on voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages.

monsieur fleurant.

On ne doit point ainsi se jouer des remèdes, et me faire perdre mon temps. Je ne suis venu ici que sur une bonne ordonnance ; et je vais dire à monsieur Purgon comme on m’a empêché d’exécuter ses ordres, et de faire ma fonction. Vous verrez, vous verrez…

Mon frère, vous serez cause ici de quelque malheur.

Le grand malheur de ne pas prendre un lavement que monsieur Purgon a ordonné ! Encore un coup, mon frère, est-il possible qu’il n’y ait pas moyen de vous guérir de la maladie des médecins, et que vous vouliez être toute votre vie enseveli dans leurs remèdes ?

Mon Dieu ! mon frère, vous en parlez comme un homme qui se porte bien ; mais, si vous étiez à ma place, vous changeriez bien de langage. Il est aisé de parler contre la médecine, quand on est en pleine santé.

Mais quel mal avez-vous ?

Vous me feriez enrager. Je voudrois que vous l’eussiez, mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Ah ! voici monsieur Purgon.

MONSIEUR PURGON, ARGAN, BÉRALDE, TOINETTE.

monsieur purgon.

Je viens d’apprendre là-bas, à la porte, de jolies nouvelles ; qu’on se moque ici de mes ordonnances, et qu’on a fait refus de prendre le remède que j’avois prescrit.

Monsieur, ce n’est pas…

Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion d’un malade contre son médecin !

Cela est épouvantable.

Un clystère que j’avois pris plaisir à composer moi-même.

Ce n’est pas moi…

Inventé et formé dans toutes les règles de l’art.

Et qui devoit faire dans les entrailles un effet merveilleux.

Le renvoyer avec mépris !

argan ,  montrant Béralde.

C’est une action exorbitante.

Un attentat énorme contre la médecine.

Il est cause…

Un crime de lèse-Faculté, qui ne se peut assez punir.

Je vous déclare que je romps commerce avec vous.

C’est mon frère…

Que je ne veux plus d’alliance avec vous.

Vous ferez bien.

Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisois à mon neveu, en faveur du mariage.

(Il déchire la donation, et en jette les morceaux avec fureur.)

C’est mon frère qui a fait tout le mal.

Mépriser mon clystère !

Faites-le venir ; je m’en vais le prendre.

Je vous aurois tiré d’affaire avant qu’il fût peu.

Il ne le mérite pas.

J’allois nettoyer votre corps, et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs.

Ah ! mon frère !

Et je ne voulois plus qu’une douzaine de médecines pour vider le fond du sac.

Il est indigne de vos soins.

Mais, puisque vous n’avez pas voulu guérir par mes mains…

Ce n’est pas ma faute.

Puisque vous vous êtes soustrait de l’obéissance que l’on doit à son médecin…

Cela crie vengeance.

Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnois…

Hé ! point du tout.

J’ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l’intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l’âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs.

C’est fort bien fait.

Mon Dieu !

Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours vous deveniez dans un état incurable ;

Ah ! miséricorde !

Que vous tombiez dans la bradypepsie,

Monsieur Purgon !

De la bradypepsie dans la dyspepsie,

De la dyspepsie dans l’apepsie,

De l’apepsie dans la lienterie,

De la lienterie dans la dyssenterie,

De la dyssenterie dans l’hydropisie.

Et de l’hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.

Ah, mon Dieu ! je suis mort. Mon frère, vous m’avez perdu.

Quoi ! qu’y a-t-il ?

Je n’en puis plus. Je sens déjà que la médecine se venge.

Ma foi, mon frère, vous êtes fou ; et je ne voudrois pas, pour beaucoup de choses, qu’on vous vît faire que ce vous faites. Tâtez-vous un peu, je vous prie ; revenez à vous-même, et ne donnez point tant à votre imagination.

Vous voyez, mon frère, les étranges maladies dont il m’a menacé.

Le simple homme que vous êtes !

Il dit que je deviendrai incurable avant qu’il soit quatre jours.

Et ce qu’il dit, que fait-il à la chose ? Est-ce un oracle qui a parlé ? Il semble, à vous entendre, que monsieur Purgon tienne dans ses mains le filet de vos jours, et que, d’autorité suprême, il vous l’allonge et vous le raccourcisse comme il lui plaît. Songez que les principes de votre vie sont en vous-même, et que le courroux de monsieur Purgon est aussi peu capable de vous faire mourir que ses remèdes de vous faire vivre. Voici une aventure, si vous voulez, à vous défaire des médecins ; ou, si vous êtes né à ne pouvoir vous en passer, il est aisé d’en avoir un autre, avec lequel, mon frère, vous puissiez courir un peu moins de risque.

Ah ! mon frère, il sait tout mon tempérament, et la manière dont il faut me gouverner.

Il faut vous avouer que vous êtes un homme d’une grande prévention, et que vous voyez les choses avec d’étranges yeux.

ARGAN, BÉRALDE, TOINETTE.

Monsieur, voilà un médecin qui demande à vous voir.

Et quel médecin ?

Un médecin de la médecine.

Je te demande qui il est.

Je ne le connois pas, mais il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; et, si je n’étois sûre que ma mère étoit honnête femme, je dirois que ce seroit quelque petit frère qu’elle m’auroit donné depuis le trépas de mon père.

Fais-le venir.

Vous êtes servi à souhait. Un médecin vous quitte ; un autre se présente.

J’ai bien peur que vous ne soyez cause de quelque malheur.

Encore ! Vous en revenez toujours là.

Voyez-vous, j’ai sur le cœur toutes ces maladies-là que je ne connois point, ces…

ARGAN, BÉRALDE ; TOINETTE, en médecin.

Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite, et vous offrir mes petits services pour toutes les saignées et les purgations dont vous aurez besoin.

Monsieur, je vous suis fort obligé.  (À Béralde.)  Par ma foi, voilà Toinette elle-même.

Monsieur, je vous prie de m’excuser : j’ai oublié de donner une commission à mon valet ; je reviens tout à l’heure.

Hé ! ne diriez-vous pas que c’est effectivement Toinette ?

Il est vrai que la ressemblance est tout à fait grande ; mais ce n’est pas la première fois qu’on a vu de ces sortes de choses, et les histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature.

Pour moi j’en suis surpris ; et…

Que voulez-vous, monsieur ?

Ne m’avez-vous pas appelée ?

Moi ? non.

Il faut donc que les oreilles m’aient corné.

Demeure un peu ici pour voir comme ce médecin te ressemble.

Oui, vraiment ! J’ai affaire là-bas ; et je l’ai assez vu.

Scène XIII.

Si je ne les voyois tous deux, je croirois que ce n’est qu’un.

J’ai lu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances ; et nous en avons vu, de notre temps, où tout le monde s’est trompé.

Pour moi, j’aurois été trompé à celle-là ; et j’aurois juré que c’est la même personne.

Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.

Cela est admirable.

Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.

Monsieur, je suis votre serviteur.

Je vois, monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aie ?

Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.

Ah, ah, ah, ah, ah ! j’en ai quatre-vingt-dix.

Quatre-vingt-dix !

Oui. Vous voyez en effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.

Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans !

Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menus fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrotes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine ; c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrois, monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes et l’envie que j’aurois de vous rendre service.

Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ah ! je vous ferai bien aller comme vous devez. Ouais ! ce pouls-là fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Qui est votre médecin ?

Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?

Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

Ce sont tous des ignorants. C’est du poumon que vous êtes malade.

Du poumon ?

Oui. Que sentez-vous ?

Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

Justement, le poumon.

Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

J’ai quelquefois des maux de cœur.

Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’étoient des coliques.

Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

Oui, monsieur.

Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir ?

Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?

Il m’ordonne du potage,

Ignorant !

De la volaille,

Des bouillons,

Des œufs frais ;

Et le soir, de petits pruneaux pour lâcher le ventre ;

Et surtout de boire mon vin fort trempé.

Ignorantus, ignoranta, Ignorantum.  Il faut boire votre vin pur ; et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande ; du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main ; et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.

Vous m’obligerez beaucoup.

Que diantre faites-vous de ce bras-là ?

Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure, si j’étois que de vous.

Et pourquoi ?

Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?

Oui ; mais j’ai besoin de mon bras.

Vous avez là aussi un œil droit que je me ferois crever, si j’étois en votre place.

Crever un œil ?

Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt : vous en verrez plus clair de l’œil gauche.

Cela n’est pas pressé.

Adieu. Je suis fâché de vous quitter sitôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui doit se faire pour un homme qui mourut hier.

Pour un homme qui mourut hier ?

Oui : pour aviser et voir ce qu’il auroit fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au revoir.

Vous savez que les malades ne reconduisent point.

Voilà un médecin, vraiment, qui paroît fort habile !

Oui ; mais il va un peu bien vite.

Tous les grands médecins sont comme cela.

Me couper un bras et me crever un œil, afin que l’autre se porte mieux ! J’aime bien mieux qu’il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !

toinette ,  feignant de parler à quelqu’un.

Allons, allons, je suis votre servante. Je n’ai pas envie de rire.

Qu’est ce que c’est ?

Votre médecin, ma foi, qui me vouloit tâter le pouls.

Voyez un peu, à l’âge de quatre-vingt-dix ans !

Oh cà ! mon frère, puisque voilà votre monsieur Purgon brouillé avec vous, ne voulez-vous pas bien que je vous parle du parti qui s’offre pour ma nièce ?

Non, mon frère : je veux la mettre dans un couvent, puisqu’elle s’est opposée à mes volontés. Je vois bien qu’il y a quelque amourette là-dessous, et j’ai découvert certaine entrevue secrète qu’on ne sait pas que j’aie découverte.

Hé bien ! mon frère, quand il y auroit quelque petite inclination, cela seroit-il si criminel ? Et rien peut-il vous offenser, quand tout ne va qu’à des choses honnêtes, comme le mariage ?

Quoi qu’il en soit, mon frère, elle sera religieuse ; c’est une chose résolue.

Vous voulez faire plaisir à quelqu’un.

Je vous entends. Vous en revenez toujours là, et ma femme vous tient au cœur.

Hé bien ! oui, mon frère ; puisqu’il faut parler à cœur ouvert, c’est votre femme que je veux dire ; et, non plus que l’entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l’entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous donniez, tête baissée, dans tous les pièges qu’elle vous tend.

Ah ! monsieur, ne parlez point de madame ; c’est une femme sur laquelle il n’y a rien à dire, une femme sans artifice, et qui aime monsieur, qui l’aime… On ne peut pas dire cela.

Demandez-lui un peu les caresses qu’elle me fait ;

L’inquiétude que lui donne ma maladie ;

Et les soins et les peines qu’elle prend autour de moi.

Il est certain.  (À Béralde.)  Voulez vous que je vous convainque, et vous fasse voir tout à l’heure comme madame aime monsieur ?  (À Argan.)  Monsieur, souffrez que je lui montre son bec jaune et le tire d’erreur.

Madame s’en va revenir. Mettez-vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera quand je lui dirai la nouvelle.

Je le veux bien.

Oui ; mais ne la laissez pas longtemps dans le désespoir, car elle en pourroit bien mourir.

Laisse-moi faire.

toinette ,  à Béralde.

Cachez-vous, vous, dans ce coin-là.

Scène XVII.

N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ?

Non, non. Quel danger y auroit-il ? Étendez-vous là seulement.  (Bas.)  Il y aura plaisir à confondre votre frère. Voici madame. Tenez-vous bien.

Scène XVIII.

BÉLINE ; ARGAN, étendu dans sa chaise ; TOINETTE.

toinette ,  feignant de ne pas voir Béline

Ah ! mon Dieu ! Ah ! malheur ! quel étrange accident !

Qu’est-ce, Toinette ?

Ah ! madame !

Qu’y a-t-il ?

Votre mari est mort.

Mon mari est mort ?

Hélas ! oui ! le pauvre défunt est trépassé.

Assurément ; personne ne sait encore cet accident-là ; et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

Le ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !

Je pensois, madame, qu’il fallût pleurer.

Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne ? et de quoi servoit-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours ; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.

Voilà une belle oraison funèbre !

Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein ; et tu peux croire qu’en me servant, ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je veux me saisir ; et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette ; prenons auparavant toutes ses clefs.

argan ,  se levant brusquement.

Oui, madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?

Ah ! ah ! le défunt n’est pas mort.

argan ,  à Béline, qui sort.

Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur, qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses.

BÉRALDE, sortant de l’endroit où il s’étoit caché ; ARGAN, TOINETTE.

Hé bien ! mon frère, vous le voyez.

Par ma foi, je n’aurois jamais cru cela. Mais j’entends votre fille. Remettez-vous comme vous étiez, et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C’est une chose qu’il n’est pas mauvais d’éprouver ; et, puisque vous êtes en train, vous connoîtrez par là les sentiments que votre famille a pour vous.

(Béralde va se cacher.)

toinette ,  feignant de ne pas voir Angélique.

Ô ciel ! ah ! fâcheuse aventure ! Malheureuse journée !

Qu’as-tu, Toinette ? et de quoi pleures-tu ?

Hélas ! j’ai de tristes nouvelles à vous donner.

Hé ! quoi ?

Votre père est mort.

Mon père est mort, Toinette ?

Oui. Vous le voyez là, il vient de mourir tout à l’heure d’une foiblesse qui lui a pris.

Ô ciel ! quelle infortune ! quelle atteinte cruelle ! Hélas ! faut-il que je perde mon père, la seule chose qui me restoit au monde ; et qu’encore, pour un surcroît de désespoir, je le perde dans un moment où il étoit irrité contre moi ! Que deviendrai-je, malheureuse ? et quelle consolation trouver après une si grande perte ?

Qu’avez-vous donc, belle Angélique ? et quel malheur pleurez-vous ?

Hélas ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher et de plus précieux ; je pleure la mort de mon père.

Ô ciel ! quel accident ! quel coup inopiné ! Hélas ! après la demande que j’avois conjuré votre oncle de lui faire pour moi, je venois me présenter à lui, et tâcher, par mes respects et par mes prières, de disposer son cœur à vous accorder à mes vœux.

Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j’ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m’accuse de vous avoir donné.  (Se jetant à ses genoux.)  Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon ressentiment.

argan ,  embrassant Angélique.

Ah ! ma fille !

Viens. N’aie point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille ; et je suis ravi d’avoir vu ton bon naturel.

Scène XXII.

ARGAN, BÉRALDE, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE.

Ah ! quelle surprise agréable ! Mon père, puisque, par un bonheur extrême, le ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’ici je me jette à vos pieds, pour vous supplier d’une chose. Si vous n’êtes pas favorable au penchant de mon cœur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure au moins de ne me point forcer d’en épouser un autre. C’est toute la grace que je vous demande.

cléante ,  se jetant aux genoux d’Argan.

Hé ! monsieur, laissez-vous toucher à ses prières et aux miennes ; et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressements d’une si belle inclination.

Mon frère, pouvez-vous tenir là contre ?

Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ?

Qu’il se fasse médecin, je consens au mariage.  (À Cléante.)  Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille.

Très volontiers, monsieur. S’il ne tient qu’à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire même, si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferois bien d’autres choses pour obtenir la belle Angélique.

Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.

Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n’y a point de maladie si osée que de se jouer à la personne d’un médecin.

Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis en âge d’étudier ?

Bon, étudier ! Vous êtes assez savant ; et il y en a beaucoup parmi eux qui ne sont pas plus habiles que vous.

Mais il faut savoir bien parler latin, connoître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.

En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela ; et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.

Quoi ! l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ?

Oui. L’on n’a qu’à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.

Tenez, monsieur, quand il n’y auroit que votre barbe, c’est déjà beaucoup ; et la barbe fait plus de la moitié d’un médecin.

En tout cas, je suis prêt à tout.

béralde ,  à Argan.

Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure ?

Comment, tout à l’heure ?

Oui, et dans votre maison.

Dans ma maison ?

Oui. Je connois une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.

Mais moi, que dire ? que répondre ?

On vous instruira en deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent. Je vais les envoyer querir.

Allons, voyons cela.

Scène XXIII.

BÉRALDE, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE.

Que voulez-vous dire ? et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies ?

Quel est votre dessein ?

De vous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d’un médecin, avec des danses et de la musique ; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier personnage.

Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père.

Mais, ma nièce, ce n’est pas tant le jouer, que s’accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n’est qu’entre nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.

cléante ,  à Angélique.

Y consentez-vous ?

Oui, puisque mon oncle nous conduit.

TROISIÈME INTERMÈDE .

C’est une cérémonie burlesque d’un homme qu’on fait médecin, en récit, chant, et danse. Plusieurs tapissiers viennent préparer la salle, et placer les bancs en cadence. En suite de quoi, toute l’assemblée, composée de huit porte-seringues, six apothicaires, vingt-deux docteurs, et celui qui se fait recevoir médecin, huit chirurgiens dansants, et deux chantants, entrent, et prennent place, chacun selon son rang .

          Savantissimi doctores,           Medicinæ professores,           Qui hic assemblati estis ;           Et vos, altri messiores,           Sententiarum Facultatis           Fideles executores,         Chirurgiani et apothicari,

        Atque tota compania aussi,           Salus, honor et argentum,           Atque bonum appetitum.

          Non possum, docti confreri,           En moi satis admirari            Qualis bona inventio           Est medici professio;        Quam bella chosa est et bene trovata,         Medicina illa benedicta,           Quæ, suo nomine solo,           Surprenanti miraculo,           Depuis si longo tempore,           Facit à gogo vivere           Tant de gens omni genere.

          Per totam terram videmus,           Grandam vogam ubi sumus ;           Et quod grandes et petiti           Sunt de nobis infatuti.        Totus mundus, currens ad nostros remedios           Nos regardat sicut deos;           Et nostris ordonnanciis        Principes et reges soumissos videtis.

       Doncque il est nostræ sapientiæ,        Boni sensus atque prudentiæ,           De fortement travaillare           A nos bene conservare       In tali credito, voga, et honore;       Et prendere gardam a non recevere           In nostro docto corpore,           Quam personas capabiles,           Et totas dignas remplire           Has plaças honorabiles.

     C’est pour cela que nunc convocati estis ;           Et credo quod trovabitis           Dignam matieram medici        In savanti homine que voici ;           Lequel, in chosis omnibus,           Dono ad interrogandum,           Et à fond examinandum           Vostris capacitatibus.

primus doctor.

    Si mihi licentiam dat dominus præses,           Et tanti docti doctores,           Et assistantes illustres,           Très savanti bacheliero,           Quem estimo et honoro,     Domandabo causam et rationem quare           Opium facit dormire.

bachelierus.

          Mihi a docto doctore     Domandatur causam et rationem quare

          Opium facit dormire.             A quoi respondeo,             Quia est in eo             Vertus dormitiva,             Cujus est natura             Sensus assoupire.

   Bene, bene, bene, bene respondere.       Dignus, dignus est intrare       In nostro docto corpore.       Bene, bene respondere.

secundus doctor.

      [Proviso quod non displiceat,    Domino præsidi, lequel n’est pas fat,         Me benigne annuat,       Cum totis doctoribus savantibus,       Et assistantibus bienveillantibus,    Dicat mihi un peu dominus prætendens,       Raison a priori et evidens         Cur rhubarba et le séne         Per nos semper est ordonne         Ad purgandum l’utramque bile.         Si dicit hoc, erit valde habile.

   A docto doctore mihi, qui sum prætendens,    Domandatur raison a priori et evidens         Cur rhubarba et le séne         Per nos semper est ordonne         Ad purgandum l’utramque bile.          Respondeo vobis,          Quia est in illis          Vertus purgativa,          Cujus est natura         Istas duas biles evacuare.

   Bene, bene, bene, bene respondere.       Dignus, dignus est intrare       In nostro docto corpore.

tertius doctor.

   Ex responsis, il paraît jam sole clarius    Quod lepidum iste caput bachelierus  Non passavit suam vitam ludendo au trictrac,        Nec in prenando du tabac ;  Sed explicit pourquoi furfur macrum et parvum lac,  Cum phlebotomia et purgatione humorum,  Appelantur a medisantibus idolæ medicorum,        Nec non pontus asinorum ?  Si premièrement grata sit domino præsidi       Nostra libertas quæstionandi,       Pariter dominis doctoribus  Atque de tous ordres benignis auditoribus.

      Quærit a me dominus doctor

         Chrysologos, id est, qui dit d’or,      Quare parvum lac et furfur macrum,      Phlebotomia et purgatio humorum    Appelantur a medisantibus idolæ medicorum,          Atque pontus asinorum.            Respondeo quia : Ista ordonnando non requiritur magna scientia,          Et ex illis quatuor rebus Medici faciunt ludovicos, pistolas, et des quarts d’écus.

quartus doctor.

   Cum permissione domini præsidis,       Doctissimæ Facultatis,       Et totius his nostris actis       Companiæ assistantis,    Domandabo tibi, docte bacheliere,         Quæ sunt remedia   [Tam in homine quam in muliere]         Quæ, in maladia         Ditta hydropisia, [In malo caduco, apoplexia, convulsione et paralysia,]         Convenit facere.

        Clysterium donare,         Postea seignare,         Ensuita purgare.

quintus doctor.

   Si bonum semblatur domino præsidi,       Doctissimæ Facultati,       Et companiæ ecoutanti,    Domandabo tibi, erudite bacheliere,    [Ut revenir un jour à la maison gravis ægre,    Quæ remedia colicosis, fievrosis,    Maniacis, nefreticis, freneticis,      Melancolicis, demoniacis,      Asthmaticis atque pulmonicis,      Catharrosis, tussicolisis,      Guttosis, ladris atque gallosis,      In apostemasis plagis et ulcéré,    In omni membro demis aut fracturé         Covenit facere.]

   Bene, bene, bene, bene respondere.

      Dignus, dignus est intrare       In nostro docto corpore.

sextus doctor.

    [Cum bona venia reverendi præsidis,        Filiorum Hippocratis,     Et totius coronæ nos admirantis,     Petam tibi, resolute bacheliere,     Non indignus alumnus di Monspeliere,       Quæ remedia cæcis, surdis, mutis,   Manchotis, claudis, atque omnibus estropiatis, Pro coris pedum, malum de dentibus, pesta, rabie Et nimis magna commotione in omni novo marie.          Convenit facere.

         Clysterium donare,          Postea seignare,          Ensuita purgare.

  Bene, bene, bene, bene respondere.       Dignus, dignus est intrare       In nostro docto corpore.

septimus doctor.

        Super illas maladias,      Dominus bachelierus dixit maravillas ;   Mais, si non ennuyo doctissimam facultatem      Et totam honorabilem companiam Tam corporaliter quam mentaliter hic præsentem,        Faciam illi unam quaestionem ;         De hiero maladus unus         Tombavit in meas manus,   Homo qualitatis et dives comme un Crésus.   Habet grandam fievram cum redoublamentis,         Grandam dolorem capitis,   Cum troublatione spiriti et laxamento ventris ;      Grandum insuper malum au côté,]         Cum granda difficultate         Et pena a respirare.           Veuillas mihi dire,           Docte bacheliere,           Quid illi facere.

idem doctor.

         Mais, si maladia          Opiniatria        [Ponendo medicum a quia]          Non vult se guarire,          Quid illi facere ?

         Clysterium donare,          Postea seignare,          Ensuita purgare.    Reseignare, repurgare, et reclysterizare.

octavus doctor.

     [Impetro favorabile congé        A domino præside,      Ab electa trouppa doctorum,   Tam practicantium quam practica avidorum,      Et a curiosa turba badodorum.         Ingeniose bacheliere     Qui non potuit esse jusqu’ici déferré,  Faciam tibi unam questionem de importantia.    Messiores, detur nobis audiencia.      Isto die bene mane,     Paulo ante mon déjeuné,    Venit ad me una domicella       Italiana jadis bella,    Et ut penso encore un peu pucella,      Quæ habebat pallidos colores,  Fievram blancam dicunt magis fini doctores,      Quia plaigniebat se de migraina,          De curta halena,       De granda oppressione,  Jambarum enflatura, et effroyabili lassitudine ;          De batimento cordis,       De strangulamento matris,     Alio nomine vapor bystérique,  Quæ, sicut omnes maladiæ terminatæ en ique,       Facit a Galien la nique.  Visagium apparebat bouffietum, et coloris    Tantum vertæ quantum merda anseris,  Ex pulsu petito valde frequens, et urina mala      Quam apportaverat in fiola  Non videbatur exempta de febricules ;

    Au reste, tam debilis quod venerat             De son grabat        In cavallo sur une mule,        Non habuerat menses suos     Ab illa die qui dicitur des grosses eaux ;        Sed contabat mihi à l’oreille     Che si non era morta, c’était grand merveille        Perché in suo negotio     Era un poco d’amore, et troppo di cordoglio,     Che suo galanto sen era andato in Allemagna     Servire al signor Brandeburg una campagna.     Usque ad maintenant multi charlatani,     Medici, apothicari, et chirurgiani     Pro sua maladia in vano travaillaverunt, Juxta même las novas gripas istius bouru Van Helmont     Amploiantes ab oculis cancri, ad Alcahest ;        Veuillas mihi dire quid superest,        Juxta orthodoxos, illi facere.

     Mais si tam grandum bouchamentum          Partium naturalium,          Mortaliter obstinatum,          Per clysterium donare,              Seignare        Et reiterando cent fois purgare,        Non potest se guarire,   Finaliter quid trovaris à propos illi facere ?

In nomine Hippocratis benedictam cum bono      Garçone conjunctionem imperare.]

       Juras gardare statuta        Per Facultatem præscripta,        Cum sensu et jugeamento ?

               Juro  [41] .

       Essere in omnibus        Consultationibus         Ancieni aviso,          Aut bono,         Aut mauvaiso !

               Juro.

     De non jamais te servire

     De remediis aucunis,   Quam de ceux seulement almæ Facultatis,      Maladus dût-il crevare,      Et mori de suo malo ?

     Ego, cum isto boneto      Venerabili et docto,      Dono tibi et concedo  [Puissanciam, vertutem atque licentiam  Medicinam cum methodo faciendi :                Id est,            Clysterizandi,              Seignandi,              Purgandi,             Sangsuandi,             Ventousandi,            Scarificandi,              Perçandi,              Taillandi,               Coupandi,              Trepanandi,               Brulandi, Uno verbo, selon les formes, atque impune occidendi    Parisiis et per totam terram ; Rendes, Domine, his messioribus gratiam.

Tous les chirurgiens et apothicaires viennent lui faire la révérence en cadence.

       Grandes doctores doctrinæ        De la rhubarbe et du séne,   Ce seroit sans douta à moi chosa folla,        Inepta et ridicula,        Si j’alloibam m’engageare        Vobis louangeas donare,      Et entreprenoibam ajoutare        Des lumieras au soleillo,        Des etoilas au cielo,        Des flammas à l’inferno

       Des ondas à l’oceano,        Et des rosas au printano,      Agreate qu’avec uno moto,        Pro toto remercimento,      Rendam gratias corpori tam docto.          Vobis, vobis debeo    Bien plus qu’à nature et qu’à patri meo :        Natura et pater meus        Hominem me habent factum ;        Mais vos me (ce qui est bien plus)        Avetis factum medicum :        Honor, favor et gratia,        Qui, in hoc corde que voilà,        Imprimant ressentimenta        Qui dureront in secula.

   Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat,      Novus doctor, qui tam bene parlat !    Mille, mille annis, et manget et bibat,           Et seignet et tuat !

Tous les chirurgiens et les apothicaires dansent au son des instruments et des voix, et des battements de mains, et des mortiers d’apothicaires.

       Puisse-t-il voir doctas        Suas ordonnancias,        Omnium chirurgorum        Et apothicarum        Remplire boutiquas !

   Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat,      Novus doctor, qui tam bene parlat !    Mille, mille annis, et manget et bibat,           Et seignet et tuat !

apothicarius.

        [Puissent toti anni         Lui essere boni         Et favorabiles         Et n’habere jamais      Entre ses mains, pestas, epidemias         Quæ sunt malas bestias ;        Mais semper pluresias, pulmonias       In renibus et vessia pierras, Rhumatismos d’un anno, et omnis generis fievras,  Fluxus de sanguine, gouttas diabolicas. Mala de sancto Joanne, Poitevinorum colicas

Scorbutum de Hollandia, verolas parvas et grossas     Bonos chancros atque longas callidopissas.

             Amen.]

Les médecins, les chirurgiens et les apothicaires sortent tous, selon leur rang, en cérémonie, comme ils sont entrés.

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Molière, Le Malade imaginaire

Comédie et satire

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Sujet d'écrit • Commentaire

Molière, Le Malade imaginaire , acte II, scène 5

Intérêt du sujet • Quel moyen plus efficace pour discréditer ses cibles que de faire rire le spectateur en les ridiculisant ? Molière, dans cette scène de comédie, règle ses comptes aux médecins et à certaines traditions bourgeoises.

► Commentez ce texte de Molière, extrait du Malade imaginaire , en vous aidant du parcours de lecture ci-dessous.

Montrez que Molière a composé une scène de déclaration d'amour comique très efficace.

Étudiez notamment la tonalité parodique de cette scène.

Analysez quelles sont les cibles ici visées par la satire.

Argan, homme bien portant, est persuadé qu'il est très malade et consulte sans cesse des médecins. Par intérêt personnel, il veut marier sa fille Angélique à Thomas Diafoirus, le fils de l'un de ses médecins, qui est aussi prétentieux que son père. Monsieur Diafoirus vient avec son fils pour le présenter à Angélique et à Argan. Toinette, servante impertinente et alliée d'Angélique, est également présente.

M onsieur D iafoirus. – […] Il se tourne vers son fils, et lui dit : Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments.

T homas D iafoirus . C'est un grand benêt nouvellement sorti des écoles, qui fait toutes choses de mauvaise grâce et à contretemps . – N'est-ce pas par le père qu'il convient commencer ?

Monsieur Diafoirus . – Oui.

T homas D iafoirus . – Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second Père ; mais un second Père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré 1  ; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps, mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future Filiation 2 , dont je viens aujourd'hui vous rendre par avance les très humbles, et très respectueux hommages.

T oinette . – Vivent les Collèges, d'où l'on sort si habile homme.

T homas D iafoirus . – Cela a-t-il bien été, mon père ?

M onsieur D iafoirus . – Optime 3 .

A rgan , à Angélique . – Allons, saluez Monsieur.

T homas D iafoirus . – Baiserai-je 4  ?

M onsieur D iafoirus . – Oui, oui.

T homas D iafoirus , à Angélique . – Madame, c'est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-Mère, puisque l'on…

A rgan . – Ce n'est pas ma Femme, c'est ma Fille à qui vous parlez.

T homas D iafoirus . – Où donc est-elle ?

A rgan . – Elle va venir.

T homas D iafoirus . – Attendrai-je, mon Père, qu'elle soit venue ?

M onsieu r D iafoirus . – Faites toujours le compliment de Mademoiselle.

T homas D iafoirus . – Mademoiselle, ni plus ni moins que la Statue de Memnon 5 rendait un son harmonieux, lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du Soleil : tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du Soleil de vos beautés. Et, comme les Naturalistes remarquent que la Fleur nommée Héliotrope tourne sans cesse vers cet Astre du jour, aussi mon cœur dores en avant 6 tournera-t-il toujours vers les Astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende 7 aujourd'hui à l'Autel de vos charmes l'offrande de ce cœur, qui ne respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari.

T oinette , en le raillant . – Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. […]

T homas D iafoirus , il tire une Thèse roulée de sa poche, qu'il présente à Angélique . – J'ai contre les Circulateurs 8 soutenu une thèse, qu'avec la permission de Monsieur, j'ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit 9 .

A ngélique . – Monsieur, c'est pour moi un meuble 10 inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.

T oinette . – Donnez, donnez. Elle est toujours bonne à prendre pour l'Image, cela servira à parer notre chambre.

T homas D iafoirus . – Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l'un de ces jours, pour vous divertir, la Dissection d'une femme sur quoi je dois raisonner.

T oinette. – Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la Comédie à leurs Maîtresses ; mais donner une Dissection est quelque chose de plus galant.

Molière, Le Malade imaginaire , acte II, scène 5, 1673.

1. Engendré : donné la vie.

2. Filiation : lien de parenté unissant le gendre et le beau-père.

3. Optime  : « très bien » en latin.

4. Baiserai-je ? : Ferai-je un baisemain ?

5. La Statue de Memnon : statue antique qui produisait un bruit sous l'effet de la chaleur et du soleil.

6. Dores en avant : dorénavant ; orthographe déjà vieillie à l'époque de Molière.

7. Que j'appende : que je suspende, que je présente.

8. Les Circulateurs : médecins qui défendaient la théorie selon laquelle le sang circule dans l'organisme.

9. Prémices de mon esprit : les débuts de mon intelligence.

10. Un meuble : un objet.

Les clés du sujet

Définir le texte

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Construire le plan

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Corrigé Guidé

Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.

Introduction

[Présentation du contexte] Pour les classiques, la comédie avait pour but de faire rire le public (« plaire »), mais aussi de le faire réfléchir (« instruire »). En 1673, dans Le Malade imaginaire , Molière met en scène Argan qui fait vivre son entourage au rythme de ses maladies imaginaires et qui, par intérêt personnel, veut marier sa fille Angélique à un étudiant en médecine.

[Présentation du texte] Dans la scène 5 de l'acte II, il reçoit M. Diafoirus, médecin célèbre, et son fils Thomas pour les présentations et la demande en mariage.

[Annonce du plan] La scène, très efficace quand elle est jouée au théâtre [I] , mêle le comique de situation, de caractère et de parodie [II] . Mais elle est plus sérieuse qu'il n'y paraît : Molière y fait la satire des mœurs de son temps [III] .

I. Théâtralité d'une rencontre « amoureuse »

► Le secret de fabrication

Pour bien mesurer le comique de cet extrait, il faut d'abord l'imaginer mis en scène et étudier sa théâtralité puis, en relevant les procédés comiques, analyser le personnage de Thomas pour en dégager les traits ridicules.

1. Une scène animée et pittoresque

Le plateau est bien rempli . Deux « camps » sont en présence avec des personnages variés, vieux et jeunes, maîtres et serviteurs : d'un côté, les deux pères et le jeune prétendant ; de l'autre, la fille d'Argan, et la servante.

Décor, costumes et accessoires composent un spectacle pittoresque  : la déclaration se déroule dans un intérieur bourgeois ; le père et le fils Diafoirus sont en habit de médecin (longue robe et haut chapeau noirs) pour impressionner Argan et sa famille.

Les didascalies internes sont les ­informations sur la mise en scène données dans les répliques mêmes des personnages (« Vous toussez fort, Madame »).

Le comique repose aussi sur les gestes : les didascalies externes et internes indiquent les gestes autoritaires de M. Diafoirus (« Allons, avancez ») et d'Argan (« Allons, saluez ») mais aussi les hésitations de ce «  grand benêt  » de Thomas (« Où donc est-elle ? »). Il faut imaginer courbettes et saluts, ridicules de la part de Thomas, contraints de la part d'Angélique. La scène laisse une large liberté aux acteurs pour exagérer gestes et mimiques.

[Transition] Mais c'est surtout Thomas qui est source de comique.

2. Une présence grotesque

Dès l'abord, le nom Diafoirus , qui combine des éléments savants (le préfixe grec dia et le suffixe latin - us ) et le mot français très réaliste foire (« diarrhée »), sonne bizarrement, ce qui souligne le ridicule du personnage.

Thomas a un comportement infantile et imbécile  : il demande l'approbation de son père par des questions à chaque geste (« Baiserai-je ? », « Cela a-t-il bien été, mon père ? ») Et lorsqu'il agit par lui-même, il multiplie les bévues  : un quiproquo lui fait confondre sa promise et sa future belle-mère – absente – ; ses propositions (la «  Thèse roulée  » et le spectacle d'une « Dissection ») pour séduire Angélique sont inattendues et cocasses.

Il est ridiculisé par le regard des autres. Ainsi Toinette commente ses faits et gestes par des antiphrases ironiques (« habile homme », « belles choses »), qui soulignent le décalage entre ses prétentions et son compor­te­ment.

II. Une déclaration parodique

Cette partie repose sur la comparaison entre une déclaration amoureuse précieuse à la mode au xvii e  siècle et celle que formule ici Thomas qui « imite » le langage précieux de façon caricaturale.

1. Pédantisme et préciosité

Les « compliments » de Thomas, l'un à Argan, l'autre à Angélique, rigoureusement structurés, reposent sur la syntaxe oratoire des envolées lyriques aux longues phrases. Ils fourmillent de parallélismes aux antithèses à répétition lorsqu'il oppose son père à son beau-père pour montrer la supériorité du second sur le premier : « par nécessité/par grâce », « ouvrage de son corps/ ouvrage de votre volonté », « spirituelles/corporelles ». Ailleurs, ce sont des groupes ternaires (« très humble, très obéissant et très fidèle ») ou des accumulations en gradation ascendante (« saluer, reconnaître, chérir et révérer »).

Thomas accumule les figures de style   : périphrases (« second Père » pour « beau-père », « Astre du jour » pour « Soleil ») et métaphores clichés qui assimilent la femme à un « Soleil » et ses « yeux » à des « Astres » ou en font une déesse (« Autels de vos charmes » et « offrande »). Il recourt à la métonymie   : « vos beautés » désigne Angélique, « mon cœur » Thomas lui-même.

Son discours est rempli d' hyperboles , de superlatifs (« très ») ou d'adjectifs emphatiques (« resplendissants », « adorables ») et par du vocabulaire précieux : il parle d'un « doux transport », utilise « souffrez » pour « acceptez ».

2. Parodie et caricature

En fait, les deux compliments se ressemblent fort alors qu'ils s'adressent à deux personnes différentes : cela tourne au procédé . Ils suivent la même structure et se terminent d'une manière identique : à « très humbles et très respectueux hommages » répond « votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur ».

Thomas fait des références incongrues à l'Antiquité (« la statue de Memnon ») ou à la science (« les Naturalistes », « l'Héliotrope ») que ses interlocuteurs ne peuvent comprendre et en décalage total avec la situation. Il commet des maladresses de style (il répète « Mademoiselle » dans la même phrase) ou, dans ses comparaisons, tombe dans le grotesque  : comble du ridicule, le voilà lui-même se transformant en « Héliotrope » !

À la représentation, pour renforcer le comique, on peut imaginer qu'il débite ses compliments sur le ton monocorde du par cœur, bute ou se trompe, bégaie. Rien de sincère dans ces discours plaqués… Il s'agit bien d'un pédant précieux, mais d'un précieux ridicule .

Vous n'êtes pas tenu de lier les axes par une transition, mais il est préférable de donner de la cohérence à votre commentaire par des transitions entre ses parties.

[Transition] Dans cette mascarade, Toinette, bien qu'elle parle peu, joue un rôle important : ses remarques ironiques font d'elle le porte-parole discret de l'auteur et indiquent que cette scène est plus sérieuse qu'il n'y paraît.

III. Le mordant de la satire

Toute satire comporte une critique implicite. Il s'agit, en analysant ses procédés, d'identifier les cibles (personnes, mœurs…) de Molière et de préciser les reproches qu'il leur adresse.

Ne pas confondre la satire (du latin satira , qui signifiait « mélange ») et un sat y re (du grec Satyros), demi-dieu rustique, à corps d'homme, à cornes et à pieds de bouc, puis homme obsédé sexuel !

La scène est plus sérieuse qu'il n'y paraît. Derrière son comique, se profile une satire mordante.

1. La satire sociale

La principale cible de la scène est la pratique du mariage arrangé . Les deux pères ont mené « l'affaire­ », sans consulter les futurs mariés, traités comme des enfants qui doivent obéir (en témoignent les impératifs). Une didascalie précise que Thomas « fait toutes choses de mauvaise grâce » (y compris sa déclaration d'amour) ; le silence d'Angélique exprime son dégoût face à celui qu'on lui destine.

Derrière cet arrangement apparaît l' égoïsme des bourgeois qui assurent leur bonheur avant celui de leur enfant : Argan ne choisit Thomas que pour avoir un médecin dans la famille et éviter des frais. Molière montre là comment la manie d'un père peut menacer toute une famille.

Pour les Diafoirus, ce mariage est une bonne affaire car, Argan étant très riche, la « dot sera importante » : Molière s'en prend à l' appât du gain de M. Diafoirus qui a soigneusement conditionné son fils pour séduire toute la famille, d'abord ses beaux-parents et, éventuellement, sa fiancée.

Enfin, comme le montre le registre parodique des « compliments » de Thomas, Molière ne peut s'empêcher de s'en prendre une fois encore, après ses Précieuses ridicules , au maniérisme du discours amoureux précieux .

2. Une cible privilégiée : les médecins et la médecine

Le premier reproche que Molière adresse aux médecins semble anodin : les Diafoirus font preuve d'une grande prétention destinée à impressionner leurs interlocuteurs. Le père s'adresse à son fils en latin («  Optime  »), le fils recourt à des références ou à des mots savants (« Memnon », l'« Héliotrope », les « Naturalistes »).

Mais la rhétorique à laquelle recourt Thomas va au-delà : elle révèle que le savoir de ces prétendus savants ne recouvre aucune science réelle. Constitué de clichés , d' idées toutes faites , de formalisme vide , ce savoir n'a rien à voir avec une vraie science médicale.

La suite de la scène aggrave le trait : Thomas, lorsqu'il mentionne avec orgueil sa « Thèse […] contre les Circulateurs », montre l'immobilisme des médecins, leur attitude rétrograde , leur refus des découvertes modernes, donc leur dangereuse incompétence.

L'admiration d'Argan pour Thomas et le fait qu'il lui « sacrifie » sa fille dénoncent l' ascendant de ces charlatans sur des esprits crédules . Seuls les gens raisonnables, même issus du peuple comme Toinette, perçoivent leur manège.

[Synthèse] Cette scène de déclaration ridicule ne donne toute la mesure de son efficacité qu'à la représentation, qui peut en accentuer à loisir le grotesque. Mais, fidèle à ses principes, Molière incite le public, au sortir du spectacle, à tirer les leçons de cette mascarade.

[Ouverture] Le rire n'est donc pas seulement une source de divertissement ; il a aussi un rôle social et moral et peut devenir une arme de contestation très efficace contre tout type de pouvoir.

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Le Malade imaginaire, Molière : résumé et analyse

  • Ariane Thévenet
  • 31 Oct 2023

À lire dans cet article :

Parcoursup

Bac français 2024. Qui dit année de première, dit également… bac de français. Cette année encore, Le Malade imaginaire est au programme des œuvres sur lesquelles tu pourrais être interrogé(e). Pour que tu sois fin prêt(e) le jour de l’examen, nous te proposons un résumé et une analyse de cette pièce emblématique de Molière, le plus célèbre des dramaturges français !

Qui était Molière ?

Jean-Baptiste Poquelin , dit Molière, est né en 1622 à Paris et mort en 1673. Auteur, metteur en scène et acteur, il est issu d’une famille bourgeoise et reçoit une éducation solide en humanités.

Dès 1643, il crée et mène sa propre troupe de Théâtre, l’Illustre Théâtre, mais il rencontre de nombreuses difficultés et interdictions, malgré le soutien du roi Louis XIV. Après douze ans à parcourir le sud de la France avec sa troupe, il rentre à Paris et redonne à la comédie une vitalité nouvelle. C’est en 1658, lorsqu’il intègre la troupe du roi qu’il connaît le succès devant le public parisien et bénéficie de la protection royale.

À travers des spectacles de pur divertissement ou des œuvres polémiques, il représente et dénonce les défauts des hommes et des mœurs de son temps par le rire . Molière est surtout connu pour ses comédies satiriques; véritables critiques de son temps. Notons par exemple les pièces Tartuffe ou L’Avare qui mettent en lumière l’hypocrisie, la vanité ou plus généralement les vices et travers de la société.

Tradition des farces populaires, héritées du Moyen-Âge (voir La farce de maître Patelin ) avec Les Fourberies de Scapin (1671), de la comédie-ballet avec Le Bourgeois gentilhomme (1670), la comédie d’intrigue, de mœurs et de caractères avec Le Misanthrope (1666), peinture satirique de la société de caractères à travers des pièces plus graves telles que Tartuffe (1664) ou Dom Juan (1665), toutes ses pièces composent un répertoire qui ignore la contrainte des règles formelles.

Ces critiques sociales et religieuses lui ont valu certaines controverses ou oppositions. L’Église jugeait notamment ses pièces scandaleuses qui ont pour certaines été censurées. Molière meurt finalement sur scène, à l’âge de 51 ans, alors qu’il joue sa pièce du Malade Imaginaire. 

Homme de théâtre de génie, ses comédies satiriques audacieuses ont grandement contribué au développement du théâtre en France, et son œuvre continue d’être largement étudiée et appréciée.

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Le Malade imaginaire : contexte

Jouée pour la première fois en 1673 , Le Malade imaginaire est une pièce comique , qui est à l’origine une comédie-ballet dont la musique est composée par Marc-Antoine Charpentier. Seulement, c’est dans la vie de Molière lui-même que l’on trouve les prémices de l’écriture de cette pièce. En effet, la santé de Molière est altérée depuis près de dix ans à cette époque. Les raisons en sont multiples ; d’ordre psychologique d’abord, en raison du surmenage, la mort de son premier fils à l’âge de onze mois, mais aussi d’ordre physiologique en raison d’une faiblesse pulmonaire et d’une tuberculose . Molière s’est donc inspiré directement de ses expériences personnelles pour satiriser les pratiques médicales de l’époque et leur ironie. Il se moque aussi des croyances et potentiels remèdes qui étaient en vigueur. Qu’il ait songé à jouer les médecins qui ne l’ont pas guéri, quoi de plus logique !

La pièce de Molière a connu un franc succès immédiatement et la pièce a été publiée peu après la mort de l’auteur par sa femme.

Le fait que Molière soit mort directement sur scène en jouant le personnage d’Argan a clairement ajouté une note tragique à la pièce. Cela a sûrement contribué à son succès, ou du moins au fait qu’elle ait été largement diffusée et reprise.

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Les personnages du Malade Imaginaire

Avant de rentrer dans le vif du sujet et de nous plonger dans le résumé de l’œuvre, nous te proposons ci-dessous une liste de chacun des personnages et de leur rôle dans Le Malade imaginaire :

  • Argan : le personnage principal, un homme hypocondriaque et avare qui se croit gravement malade.
  • Béline : la seconde épouse d’Argan, qui cherche à le manipuler pour obtenir sa fortune. Elle est souvent en conflit avec Angélique.
  • Angélique : la fille d’Argan, amoureuse de Cléante mais contrainte d’épouser Thomas Diafoirus par son père.
  • Béralde : le frère d’Argan, qui est l’un des seuls personnages à ne pas se laisser berner par les faux médecins.
  • Toinette : la servante d’Argan, qui est débrouillarde et intelligente. Elle cherche souvent à déjouer les plans de Béline et des faux médecins.
  • Monsieur Diafoirus : un médecin prétentieux et pédant, père de Thomas Diafoirus et prétendant à la main d’Angélique.
  • Monsieur Fleurant : l’apothicaire qui fournit des remèdes à Argan, souvent inutiles ou dangereux.
  • Monsieur Purgon : un autre médecin qui travaille pour Argan et qui est également prétentieux.
  • Thomas Diafoirus : le fils de Monsieur Diafoirus, un jeune homme maladroit et ennuyeux qui courtise Angélique.
  • Louison : la servante de Toinette, qui est souvent témoin des plans et des intrigues de sa maîtresse.

Malade imaginaire : résumé

La pièce, en trois actes et en prose , tourne autour d’ Argan, le « malade imaginaire » , éponyme (personnage qui donne son nom à la pièce). Il est veuf et a épousé pour son second mariage Béline, qui fait semblant de lui procurer des soins attentionnés. En réalité, elle n’attend que la mort de son mari pour hériter de sa fortune. Il se fait faire des saignées et des purges (voir définition plus bas) et absorbe toutes sortes de remèdes, prescrits par des médecins pédants (arrogants) plus soucieux d’être agréables à leur patient que de participer à l’amélioration de sa santé. Pour les tromper, Toinette, sa servante, se déguise en médecin et lui dispense de nombreux conseils ironiques et moqueurs pour la profession.

Angélique, sa fille, aime Cléante, ce qui contrarie Argan, car il préférerait la voir épouser Thomas Diafoirus, lui-même médecin. Pour les tirer d’affaire, Toinette recommande à Argan de faire le mort. Sa femme, appelée par Toinette, manifeste, devant celui qu’elle croit mort, sa joie d’en être débarrassée. Angélique, appelée ensuite par Toinette, manifeste un chagrin sincère à la mort de son père, qui arrête aussitôt son jeu et accepte l’union avec Cléante, à la condition que celui-ci devienne médecin. Béralde, frère d’Argan, conseille à ce dernier de devenir médecin à son tour, menant à une fin burlesque de la pièce, à savoir la cérémonie bouffonne de l’intronisation du « malade imaginaire » comme médecin.

Argan, le personnage principal, se situe au carrefour de trois tendances opposées . La première représente l’hypocrisie et les intérêts personnels. Ces deux attitudes sont notamment incarnées par Béline et M. Bonnefoi. D’un autre côté, l’hypocrisie et les intérêts professionnels sont représentés par les Diafoirus, M. Purgon et M. Fleurant, tandis que la sincérité, l’affection, le bon sens et la bonté sont incarnés par Cléante, Angélique, Toinette, Béralde, et Louison.

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La comédie à l’époque de Molière

En premier lieu, pour t’aider à inscrire l’œuvre de Molière dans le parcours d’étude proposé, voici quelques éléments caractéristiques de ce genre. Le terme « comédie » vient du latin comedia , dérivé du grec komoï . Il désigne le cortège animé formé à l’occasion des fêtes organisées en l’honneur de Dionysos qui évolue vers des farces et des pantomimes pour aboutir à la comédie, dont la plus ancienne est due à Aristophane (Ve – IVe siècles avant J.-C.). La comédie présente des personnages ordinaires avec leurs travers et leur ridicule sur un ton léger.

Au XVIe siècle, en Italie, la commedia dell’arte revient aux types de personnages facilement identifiables (le valet, dont Arlequin est le grand représentant, l’amoureux, le vieillard) que les acteurs mettent en scène en improvisant à partir d’un simple canevas (points principaux d’un ouvrage, trame), la gestuelle étant primordiale. Molière s’inspire de ce modèle.

En France, au XVIIe siècle, période pendant laquelle Molière écrit ses textes, le classicisme codifie la comédie et l’impose en tant que genre . À noter que le théâtre grec est la source du théâtre européen auquel il transmet ses thèmes fondateurs et des principes formels.

La commedia dell’arte italienne

En savoir un peu plus sur la commedia dell’arte.

La commedia dell’arte , qui signifie littéralement comédie de l’art en italien, est une forme de théâtre populaire qui est apparue en Italie au XVIe siècle. Elle se caractérise par l’utilisation de masques et de costumes extravagants, ainsi que par l’improvisation des acteurs.  La commedia dell’arte  divertit le public au travers de personnages caricaturaux, de pitreries et de satire sociale. 

À chaque spectacle, c’est une troupe d’une quinzaine d’acteurs qui amusent les foules. Accompagnés de jongleurs, de magiciens et d’acrobates, ils font un tabac en Italie.  La première pièce de  commedia dell’arte est signée Angelo Beolco (alias Ruzzante), un écrivain et dramaturge italien du XVIè siècle. Sa pièce est justement connue pour mettre en scène Ruzzante, son personnage éponyme incarnant un paysan haut en couleur. 

Les pièces de commedia dell’arte mettent souvent en scène des personnages stéréotypés tels que les amoureux, les serviteurs rusés, les vieux marchands, les docteurs charlatans et les soldats fanfarons. Les acteurs de commedia dell’arte étaient généralement des artistes ambulants qui se produisaient dans les rues ou les places publiques, mais ils ont également joué dans les cours royales et les théâtres professionnels. La commedia dell’arte a eu une grande influence sur le théâtre européen et a contribué au développement de la farce, de la pantomime et du bouffon.

Molière et la commedia dell’arte

Comme tu l’as compris, la commedia dell’arte est un registre théâtral à succès. Ces codes, ces comiques et l’originalité de sa mise en scène attirent les foules. En réalité, ce sont les comédiens, plus que l’histoire, qui marquent l’esprit des spectateurs et Molière décide très vite de s’en inspirer. 

Pour la petite histoire, Molière a eu l’occasion de fréquenter ces acteurs « de rues » et analyser leurs jeux. En 1658, une célèbre troupe italienne de commedia dell’arte et la troupe de Molière se voient partager différentes salles de théâtre successives. Ils tissent des liens. Molière, constamment au contact des troupes italiennes, en profitait pour regarder ses confrères et décida d’incorporer quelques-uns de leurs codes dans ses propres pièces. Molière a notamment repris l’idée : 

  • Du caneva :  La trame de l’intrigue, le synopsis général schématisant les grandes lignes du scénario 
  • Des lazzi : Le jeu d’acteur des comédiens (grossièretés, grimaces, farces, plaisanteries), les silences, le comique de mots, etc.
  • Des tipi fissi :  Les traits de caractères des personnages types, leurs rôles très codifiés, leurs mimiques

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Le comique dans Le Malade imaginaire

Petite étude d’onomastique.

Pour commencer, l’onomastique, c’est-à-dire l’étude des noms propres , permet d’ores et déjà de déceler le comique. Ainsi, Purgon est clairement affilié au verbe « purger ». La  purge  est une pratique de la médecine traditionnelle basée sur l’utilisation de plantes médicinales (ou parfois aussi sur le jeûne) et dont le but est d’améliorer les processus de détoxication et d’évacuation de l’organisme. À l’époque, la pratique du lavement pour « évacuer » les « mauvaises humeurs » du sang était courante.

Dans cette perspective, le nom de « Diafoirus » évoque le mot dérivé du terme vulgaire « foirer », en mettant en avant la dimension de dérèglement, d’échec contenu dans le nom même du potentiel médecin, voué à rater toutes les pratiques médicales qu’il entreprend.

Plusieurs formes de comique

L’héritage de la farce est représenté dans cette pièce dans toute sa splendeur. En premier lieu, le comique de geste et le comique de mots tiennent une bonne place, comme on peut le voir au moment où Argan poursuit Toinette (acte I, scène 5), qui conduit à une véritable bataille d’oreillers. Par ailleurs, la servante se déguise en médecin, avant de déboucher vers la cérémonie, réelle mascarade. Dans le comique des mots , c’est évidemment le langage professionnel qui domine, celui des médecins.

En outre, un des éléments centraux de la comédie réside dans le comique de situation , et en particulier des quiproquos . On peut citer le moment où Cléante est pris par Argan pour un authentique maître de musique. Les rencontres inattendues, les oppositions cocasses de personnages abondent également.

Le spectacle au cœur de la pièce

On l’a dit, Le Malade imaginaire est à l’origine une comédie-ballet, qui mêle chant, danse et théâtre. Il s’agit d’une forme très appréciée de Louis XIV. C’est donc  un spectacle sur tous les plans, car cette pièce allie stimulation visuelle et auditive en convoquant différentes formes d’arts pour la Cour.

Par ailleurs, on peut noter que cette œuvre est aussi une pièce dans la pièce. Cette mise en abîme se manifeste notamment par les apparitions de Toinette, la domestique, qui orchestre un certain nombre de situations. Ainsi, son intervention la plus notable est le moment où elle fait simuler la mort d’Argan pour permettre de démasquer le caractère vénal de sa femme Béline, et révéler la loyauté de sa fille Angélique.

Remarquons aussi l’attitude de Béralde : il joue un rôle d’organisateur de spectacles, comme s’il était lui-même metteur en scène, intermède. Pour cela, il introduit les danseurs auprès d’Argan lorsqu’il fait face à un épisode de colère en annonçant : « Je vous amène ici un divertissement que j’ai rencontré, qui dissipera votre chagrin. »

Plus largement, le procédé de mise en abyme (peut aussi s’écrire abîme), de théâtre dans le théâtre, permet de souligner les défauts de l’homme en accentuant le comique. Celui-ci permet de conférer davantage de légèreté, dédramatiser par le mécanisme « plaire et instruire ».

La satire dans Le Malade imaginaire

L’héritage de la farce est représenté dans cette pièce dans toute sa splendeur. En premier lieu, le comique de geste et le comique de mots tiennent une bonne place, comme on peut le voir au moment où Argan poursuit Toinette (acte I, scène 5), qui conduit à une véritable bataille d’oreillers. Par ailleurs, la servante se déguise en médecin, avant de déboucher vers la cérémonie, réelle mascarade. Dans le comique des mots, c’est évidemment le langage professionnel qui domine, celui des médecins. Un des éléments centraux de la comédie réside dans le comique de situation, et en particulier des quiproquos. On peut citer le moment où Cléante est pris par Argan pour un authentique maître de musique. Les rencontres inattendues, les oppositions cocasses de personnages abondent.

Une satire des médecins : castigat ridendo mores

La pièce se moque du bourgeois naïf hypocondriaque , qui est prêt à tout croire de son médecin. Ce dernier est l’équivalent d’un Dieu pour Argante, pour lequel on finit par avoir de la pitié. Le médecin est présenté comme une personne sadique , prenant plaisir à tourmenter Argante. C’est cette figure qui est véritablement condamnée, car elle profite de l’ignorance des patients. Dans le même temps, il est reproché aux médecins leur amateurisme, leur manque complet de connaissances médicales.

Dès lors, les médecins dictent leur conduite aux patients, se placent en maîtres incontestables. M. Purgon fait ici en sorte qu’Argan se sente coupable, qu’il ait l’impression d’avoir pêché en exploitant sa crédulité.

Par conséquent, on voit donc bien dans cette pièce l’importance de la notion de castigat ridendo mores théorisée par Horace. Cette formule signifie « corriger les mœurs par le rire ». Il s’agit pour Molière de dénoncer certaines attitudes en faisant rire, pour mieux interroger les specta

teurs et les lecteurs sur ces problèmes. L’idée essentielle derrière ce concept est que les vérités sont véhiculées par le rire ; celles-ci sont accessibles au plus grand nombre. En ce sens, la comédie fait rire, divertie, mais par le rire, elle cherche à critiquer.

Le mariage dans Le Malade imaginaire

Autre thème très important dans Le Malade imaginaire : le mariage . Dans la pièce, on compte quatre types de mariages possibles :

  • Le mariage de raison : Angélique et Thomas Diafoirus ;
  • Le mariage d’intérêt : Béline et Argan ;
  • Le mariage avec Dieu : la menace du couvent ;
  • Le mariage d’amour : Angélique et Cléante.

Molière met en lumière les différents mariages envisageables et, conscient de l’injustice dont sont victimes les femmes, défend une conception du mariage dans lequel les femmes sont entendues, leur avis est pris en compte.

Encore une fois, le dramaturge se moque de ce qui existe dans la société et tourne en ridicule ses personnages et les raisons qui les poussent à se marier.

Lire aussi : Les Fausses Confidences, Marivaux : résumé et analyse de l’œuvre

Analyse de la scène 5 de l’acte II du Malade imaginaire

Le passage s’articule autour du lavement d’Argan (le lavement est une procédure lors de laquelle un liquide, ou parfois un gaz, est injecté dans le rectum par l’anus soit pour administrer un médicament, soit pour évacuer le contenu du côlon). On y voit l’utilisation du champ lexical de la scatologie, terme qui désigne des écrits ou des propos se rapportant aux excréments. Tout tourne autour de la colique, de la diarrhée, du vomi (« âcreté de votre bile »). Ces détails sont triviaux et sont inconvenants. Ils s’opposent à la bienséance qui est de mise pour ces sujets intimes et vulgaires. Cette forme de comique est empruntée à la farce du Moyen-Âge, comme dans Gargantua de Rabelais .

Tout d’abord, on note le comique de situation mené par la relation entre Argan et Monsieur Purgon, qui suscite inéluctablement le rire. Cette relation repose sur la hiérarchie entre ces deux personnages, qui se matérialise par la prise de parole plus imposante du côté de M. Purgon : Argan n’arrive pas à s’imposer dans la discussion.

De plus, M. Purgon emploie des hyperboles pour exagérer la situation d’Argan afin de lui faire peur. Il gronde son patient et le menace de l’abandonner à sa « mauvaise constitution ». Son objectif n’est pas vraiment qu’il soit guéri. Il profite de sa faiblesse et sa naïveté pour lui faire peur et s’enrichir avec le médecin. De l’autre côté, Argan a peur de ne plus avoir de médecin ; il s’excuse et accuse son frère. Cette scène met en avant la figure du bourgeois naïf qui suit aveuglément les directives et les ordres des personnes qu’ils engagent. Ces dernières sont pour eux des spécialistes qu’il n’est pas bon de contredire, ce qui conduit à des situations d’abus de pouvoir.

Dans cet extrait figure le comique de caractère : Toinette est une domestique plus avisée que son maître et qui s’en moque ouvertement. M. Purgon quant à lui est excessif et donc ridicule. Argan est ridicule également, car il a peur, il est soumis au médecin et accepte qu’on s’adresse à lui de manière irrespectueuse.

Enfin, le rythme du dialogue est rapide, comme le montrent les répliques courtes et rapides : les stichomythies . Ce sont des échanges verbaux rapides, vifs, en paroles ou en vers, généralement, qui marquent une accélération dans le dialogue. Argan ne parvient pas à terminer ses phrases. Notons que la servante Toinette fait de brèves interventions ironiques.

Pour conclure, si Le Malade imaginaire est la synthèse des opinions de Molière sur les médecins, la médecine et la faiblesse humaine, elle est aussi une anthologie, la plus complète et peut-être la plus parfaite de l’art comique de Molière.

Quelques citations à retenir du Malade imaginaire

Pour finir sur Le Malade imaginaire , nous t’avons concocté un petit florilège de citations à retenir pour les intégrer dans tes dissertations. C’est un excellent moyen d’illustrer ta compréhension de l’œuvre et de justifier et expliciter les points que tu veux développer dans tes argumentations :

  • « Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies. » Acte III, scène 3.
  • « Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.  » Acte III, scène 3.
  • « Je ne vois rien de plus ridicule, qu’un homme qui veut se mêler d’en guérir un autre » Acte III, scène 3.
  • « Il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.  » Acte III, scène 3.

Lire aussi :   Français : les citations incontournables pour le bac français

Tu souhaiterais découvrir plus de pièces de Molière ?

Tu as apprécié la lecture du Malade imaginaire et tu souhaites continuer à découvrir les pièces de Molière et cerner le travail d’écriture du plus célèbre des dramaturges français ?

Tu peux bien entendu lire d’autres pièces de Molière. Cela te permettra non seulement de mieux comprendre et d’assimiler l’ensemble des propos avancés dans cet article, mais surtout, t’apportera des connaissances littéraires supplémentaires bénéfiques au moment de passer ton bac de français ! 

La rédaction d’Au Futur te conseille notamment : 

  • Les précieuses ridicules (1659) 
  • L’école des Femmes (1662)
  • Les Fourberies de Scapin (1671)
  • Dom Juan (1965)

Des classiques de la littérature qui te seront forcément utiles à un moment de ta scolarité.

Les œuvres au programme du bac de français 2024

Pour terminer cet article, laisse-nous te rafraîchir la mémoire sur les œuvres au programme du bac de français 2024. Cette année, comme les années précédentes, 12 œuvres seront étudiées :

  • Les Fausses confidences , Marivaux ;
  • Le Malade imaginaire , Molière ;
  • Juste la fin du monde , Lagarce ;
  • Gargantua , Rabelais ;
  • Les Caractères , La Bruyère ;
  • La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne , Gouges ;
  • Manon Lescaut , Abbé Prévost ;
  • La Peau de chagrin , Balzac ;
  • Sido suivi des Vrilles de la vigne , Colette ;
  • Mes forêts , Dorion ;
  • La Rage de l’expression , Ponge ;
  • Cahier de Douai , Rimbaud.

Bonne nouvelle pour toi, nous te proposons une fiche de lecture pour chacune des œuvres que nous venons de citer. De quoi te permettre d’avancer bien vite dans tes révisions. Alors, n’attends plus et consulte sans plus tarder notre site internet .

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Le Malade imaginaire, acte 1 scène 5 : lecture linéaire

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Le Malade imaginaire, acte I scène 5, introduction

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est l’un des plus grands dramaturges français.

Il est célébré pour ses comédies de mœurs qui dénoncent les vices et les travers humains, souvent incarnés par un noble dont le comportement met en péril sa maison. Molière représente ainsi souvent le désordre social provoqué par l’excès des passions.

Le Malade Imaginaire met en scène Argan, un bourgeois hypocondriaque et tyrannique qu’exploitent des médecins charlatans, et qui veut forcer sa fille Angélique à se marier avec un jeune médecin. (voir la fiche de lecture pour le bac de français du Malade imaginaire de Molière )

C’est justement dans la scène 5 de l’acte I qu’Argan annonce le projet de mariage qui déclenche toute l’intrigue de la pièce.

Problématique

Comment le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque-t-il la tristesse de sa fille Angélique et la résistance comique de sa servante Toinette ?

Plan de lecture linéaire (acte I scène 5 en intégralité)

Dans une première partie, du début de la scène à «  entendu une autre  », Argan et Angélique vantent le futur époux dans un quiproquo comique.

Puis, dans une seconde partie, de «  Quoi ! monsieur  » à la fin de la scène, Toinette oppose une résistance acharnée et comique au mariage décidé par Argan.

I – Un quiproquo comique au sujet du mariage d’Angélique

(du début de la scène à « vous avez parlé d’une personne, et que j’en entendu une autre  »), a – argan annonce à angélique qu’elle épousera l’homme qu’il a choisi, (du début à «  ma parole est donnée »).

La didascalie qui ouvre la scène («  se met dans sa chaise  ») montre combien Argan adopte la posture dominatrice du maître en sa demeure. Cela annonce la tyrannie du père, qui s’adresse justement à Angélique avec un déterminant possessif : «  ma fille  ».

Son annonce est introduite par un effet d’attente au futur proche («  je vais vous dire une nouvelle  »), ce qui montre qu’Argan se donne de l’importance.

La didascalie interne «  vous riez ? «  indique que cette annonce provoque le rire joyeux d’Angélique. C’est que dans la scène précédente, Angélique confiait à Toinette le mariage qu’elle et Cléante envisagent. Le spectateur comprend donc déjà le quiproquo qui va s’ensuivre.

Argan en revanche croit que sa fille se moque de lui.

Il se montre d’abord condescendant , attribuant le comportement d’Angélique à son appartenance à la gente féminine , qu’il raille : «  Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles .  »

Cette moquerie souligne la goujaterie du père mais aussi sa vision sérieuse du mariage qui repose sur une alliance d’intérêts et ne devrait donc susciter de joie particulière.

En père tyrannique, il rappelle avec brutalité qu’il est seul à décider : «  je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.  »

Angélique répond cependant avec soumission , en affirmant au présent de vérité générale qu’elle ne fera que les volontés de son père : «  Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.  »

L’adresse respectueuse «  mon père  » est particulièrement affable.

L’analyse grammaticale de la phrase révèle également la soumission totale d’Angélique qui n’apparaît que dans le « m' », complément d’objet direct du verbe « ordonner » .

Cette politesse extrême est toutefois ironique : Angélique se soumet à ce mariage car elle croit que son père lui promet Cléante.

C’est donc très satisfait qu’Argan lui répond que «  la chose est donc conclue  ». Il est comique qu’Argan n’ait jamais demandé l’avis d’Angélique dans ce projet de mariage. Sa tyrannie va jusqu’à nier la volonté de sa fille.

Le substantif «  la chose «  met le mariage à distance , soulignant le peu d’intérêt que porte Argan aux réalités concrètes du mariage.

Angélique témoigne de la même obéissance absolue , avec l’ hyperbole «  suivre aveuglément toutes vos volontés.  »

C’est alors qu’Argan confie le projet qu’avait la belle-mère d’Angélique, Béline : mettre Angélique et sa sœur Louison au couvent.

En aparté, «  tout bas « , la servante Toinette décrypte : «  La bonne bête a ses raisons.  » La désignation familière et péjorative exprime le mépris de la servante pour la belle-mère opportuniste qui aspire à s’accaparer les biens d’Argan. Béline est un archétype de la comédie.

Les apartés de l’ingénieuse servante créent également une connivence avec les spectateurs et participent au plaisir de la comédie.

B – Angélique et Argan vantent le futur époux dans un quiproquo comique

(de «  ah  mon père, que je vous suis obligée » à « qui vous l’a dit, à vous   »).

La soumission d’Angélique s’exprime désormais par l’ éloge au père, comme l’expriment les exclamations répétées et la tournure hyperbolique au pluriel, comme si les bontés du père étaient infinies : «  toutes vos bontés !  » La fille se réjouit d’avoir échappé au couvent.

L’insolente Toinette redouble cet éloge par la tournure présentative et le superlatif : «  voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.  » Le spectateur rit de l’ ironie de Toinette qui suggère que son maître ne prend habituellement pas de décisions sages.

Argan annonce alors qu’il n’a «  pas encore vu la personne  », mais que tout le monde en sera «  content  », ce qui peut sembler paradoxal .

Cette réplique-clef met en place le quiproquo, car Angélique croit que l’époux en question est Cléante. D’où son renchérissement par l’adverbe «  Assurément  ».

Cependant, l’acceptation d’Angélique suscite la surprise d’Argan , qui s’exclame et interroge : «  Comment ! l’as-tu vu ?  » La vivacité de cette réaction laisse déjà deviner qu’il ne s’agit pas de Cléante.

Le spectateur se réjouit du quiproquo qui se met en place, tout en craignant la future réaction d’Argan. On remarque également qu’Argan ne conçoit pas que l’on soit d’accord avec lui. Comme s’il cherchait justement le conflit .

Angélique, qui se croit promise à Cléante, confie à son père qu’elle l’a déjà vu.

Elle utilise des tournures précieuses  : « je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connaître il y a six jours  » . Cet amour de six jours peut sembler superficiel. Molière se moque ici les excès de la galanterie .

Cette confession suscite cependant la perplexité d’Argan : «  Ils ne m’ont pas dit cela  ». Le pronom personnel sujet «  ils  » maintient habilement le quiproquo comique.

Le père néanmoins se satisfait de la situation, et amorce l’ éloge de l’époux .

Angélique lui répond, et leurs voix s’entrelacent pour former une stichomythie . Argan prononce un éloge, et Angélique renchérit : «  Fort honnête. / Le plus honnête du monde.  » Se dessine ainsi le portrait de l’homme idéal.

L’alliance des voix, qui forment une harmonie alternée , souligne le quiproquo de manière tout à fait comique.

Le quiproquo et la stichomythie sont des procédés typiques du comique farcesque , issu de la comédie de foire dont s’inspire Molière.

La stichomythie accélère justement le rythme pour précipiter le retournement de situation.

En effet, Angélique cesse progressivement de renchérir, pour interroger son père, car elle ne reconnaît plus Cléante dans le portrait que son père fait de l’époux : «  Et qui sera reçu médecin dans trois jours. / Lui, mon père ?  »

Les répétitions cessent d’exprimer l’harmonie pour souligner l’ incompréhension  : «  Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ? / Non, vraiment. Qui vous l’a dit, à vous ?  »

C – Angélique comprend que son père ne parle pas de Cléante

(de «  monsieur purgon  » à «  j’ai entendu une autre  » ).

Angélique est intriguée par le fait que «  Monsieur Purgon  » connaisse Cléante. Son incompréhension témoigne de la naïveté de la jeune fille, qui a sincèrement cru que son père tyrannique avait choisi pour elle l’homme qu’elle aime.

L’ onomastique participe également au comique de la réplique : « Purgon » est un synonyme dépréciatif de « (mauvais) médecin ». Par paronomase, ce mot s’apparente à «  purger  », référence aux pratiques de purification inefficaces que ce médecin inflige à Argan.

L’évocation du médecin en plein éloge de l’époux rompt définitivement toute harmonie.

Argan répond à Angélique que l’époux est justement le neveu de Monsieur Purgon. Cette réplique-clef   brise le quiproquo, et annonce la confrontation.

L’interrogation d’Angélique témoigne une nouvelle fois de sa naïveté et de son incompréhension comique : «  Cléante, neveu de monsieur Purgon ?  » Si Argan est ici ridicule par sa tyrannie, Angélique l’est par sa soumission et sa candeur .

La fille s’efface dès lors que la confrontation s’impose. Sa brève réplique «  Hé ! oui.  » témoigne de sa stupéfaction. La parole et la pensée divorcent : Angélique continue à dire qu’elle est d’accord, mais ne l’est plus.

Tandis qu’Argan, au contraire, prend toute la place par une réplique plus longue , qu’introduit l’exclamation autoritaire «  Hé bien !  ».

Le portrait qu’il dresse de l’époux, Thomas Diafoirus, est dénué du charme qui caractérise Cléante. Le fils Diafoirus est appréhendé uniquement par sa filiation comme en témoigne le champ lexical de la famille : «  neveu  » , «  fils de son beau-frère  » , «  son père  » .

Comiquement, l’ avis de Thomas Diafoirius n’a pas non plus été pris en compte dans ce projet de mariage puisque ce dernier a été conclu par Argan avec Monsieur Purgon et Monsieur Fleurant («  nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi  » ).

Argan déclare que le futur époux «  doit (lui) être amené par son père  » . La tournure passive infantilise voire réifie le futur époux, annonçant déjà son immaturité et sa soumission .

De plus, l’onomastique Diafoirus véhicule une charge comique et satirique : la «  foria  » désigne en latin la diarrhée . Ce patronyme dépréciatif résonne avec le participe présent contenu dans «  Monsieur Fleurant  ». Cet humour scatologique , issu de la farce populaire, est habilement remobilisé par Molière pour énoncer une critique sociale à l’encontre des médecins.

Malgré l’apparente médiocrité de l’époux, Argan veut hâter ce mariage, provoquant un péril familial.

Ses exclamations constituent de véritables didascalies internes qui soulignent le trouble d’Angélique : «  Qu’est-ce ? Vous voilà tout ébaubie !  »

En effet, celle-ci reconnaît qu’elle a été victime d’un quiproquo : «   vous avez parlé d’ une personne , et que j ’ ai entendu une autre .  » Le parallélisme souligne l’ absence de communication entre le père et la fille.

Le caractère angélique de la fille provoque le rire , tout en soulignant l’indifférente tyrannique du père.

Mais la servante, elle, va s’opposer frontalement au maître.

II – Toinette oppose une résistance comique au mariage décidé par Argan

A – toinette tente de convaincre argan de renoncer à ce mariage d’intérêt avec un médecin, (de «  quoi  monsieur, vous aurez fait ce dessein » à «  que vous dites  »).

Toinette s’insurge comme l’exprime l’ interjection interrogative et exclamative «  Quoi !  »

Ses interrogations répétées manifestent sa colère face à l’annonce du mariage : «  avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?  »

La servante va jusqu’à désigner ce projet de manière moqueuse par l’ oxymore dépréciatif «  dessein burlesque  » .

L’adjectif « burlesque » permet un commentaire métathéâtral (c’est à dire un commentaire qui fait référence au travail du dramaturge) : via son personnage, Molière atteste en effet du registre comique de sa pièce, et assume la dimension populaire de sa comédie de mœurs.

Toinette, la servante impertinente, est un archétype de la comédie.

Les adjectifs injurieux dans la bouche d’Argan («  coquine, impudente  » ) donnent une dimension farcesque à cette scène.

On observe une antithèse comique entre le rang social inférieur de la servante, et la supériorité qu’elle affecte à l’égard de son maître.

Il est également paradoxal et plaisant que Toinette invite Argan à se calmer («  tout doux.  »), alors que c’est elle qui a initié les moqueries.

La subtile servante, qui connaît les extravagances du maître, met en place un interrogatoire, et l’invite à faire parler la raison plutôt que la passion, comme en témoigne son vocabulaire : «  raisonner  », «  sang-froid  », «  raison  ».

Argan donne une tournure argumentative à sa phrase («  Ma raison est que  », «  afin de  »), mais révèle qu’il souhaite s’entourer d’un gendre médecin uniquement pour que ce dernier s’occupe de ses maladies imaginaires.

Ce mariage n’est en effet justifié que par l’égoïsme d’Argan comme en témoigne l’ inflation de la première personne dans sa réplique : «  Ma raison » , «  me voyant » , «  je suis » , «  je veux » , «  ma maladie » , «  ma famille » , «  me sont nécessaires » .

Toinette poursuit son interrogatoire sur le plan de la raison, cherchant à détruire les motivations du mariage : «  mettez la main à la conscience ; est-ce que vous êtes malade ?  » . Cet interrogatoire renverse les hiérarchies sociales de manière comique.

L’ anaphore exclamative d’Argan «  si je suis malade !  » est également comique. Cette répétition participe à la dimension mécanique et réflexe des cris d’Argan, sorte de pantin colérique .

Avec ironie, Toinette reprend l’anaphore en «  malade  », affirmant cette fois-ci que son maître est «  plus malade  » qu’il ne le pense.  Bien sûr, la servante fait référence à d’autres maladies comme la folie et l’ hypocondrie . Ce jeu sur le sens du mot « malade » accroît la complicité entre Toinette et le spectateur, tant la servante est habile et comique.

Toujours rationnelle, Toinette argue qu’Angélique « n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin.  ». Le complément circonstanciel de cause «  n’étant point malade  » souligne l’effort de Toinette pour pousser Argan à recourir à la logique et à la raison.

Argan lui rétorque alors : «  C’est pour moi que je lui donne ce médecin  ». La tournure emphatique («  c’est pour moi « ) met en relief l’ égocentrisme du père va jusqu’à faire de sa fille l’objet par lequel il obtient ce qu’il souhaite. Le mariage s’apparente à une vente.

Argan justifie son égoïsme par la soumission qu’«  une fille de bon naturel doit  » à son père. Molière dénonce ici la hiérarchie sociale, structurée par le genre et les générations, qui permet de tels excès.

Toinette tente alors un rapprochement affectif avec son maître : «  voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?  »

Cette invitation rusée révèle l’échec de l’approche rationnelle, et annonce l’impossible entente entre Argan et Toinette.

Argan semble amadoué puisqu’il veut bien connaître le conseil, ce qui crée un effet d’attente .

Or ce conseil est comique car il n’en est pas un : c’est une opposition frontale : «  De ne point songer à ce mariage-là.  »

Toinette se justifie : «  votre fille n’y consentira point.  » . Le futur de l’indicatif est impertinent car il exprime la certitude de Toinette quant à l’échec du projet d’Argan.

Le tyrannique malade imaginaire exprime son incompréhension en répétant cette réplique. De manière comique, l’idée qu’on puisse lui désobéir semble être inconcevable pour Argan. Molière joue sur le comique de répétition dans l’affrontement entre Toinette et son maître : « raison » / « raison », « fille », « fille », « fille » / « consentira », « consentira » .

L’ anaphore ternaire en « Diafoirus », dans la justification de Toinette, insiste sur le ridicule de ce patronyme : «  elle n’a que faire de monsieur Diafoirus , ni de son fils Thomas Diafoirus , ni de tous les Diafoirus du monde.  »

Ainsi, Toinette se substitue pleinement à Angélique, que la peur du père empêche de parler. Toinette est emblématique de la servante de comédie qui se caractérise souvent par une absence de retenue censée être propre à son absence d’éducation .

Argan mobilise alors un second argument , toujours en rapport avec l’intérêt : « Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier  ».

Le champ lexical de l’argent (« avantageux », « héritier », « lui donne tout son bien », « huit mille bonnes livres de rente » ) témoigne d’un autre vice d’Argan : la vénalité .

La servante dénonce le caractère potentiellement criminel d’un tel enrichissement : «  Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche.  »

Mais Argan reste obnubilé par les «  huit mille livres de rente  » qui sont «  quelque chose  » de tangible, contrairement aux sentiments, qu’il ignore. L’hypocondriaque montre ici sa vénalité et son matérialisme .

Toinette ne peut qu’acquiescer ironiquement. Mais l’ allitération en consonnes labiales «  b el et b on  » laisse entendre sa colère.

La tension croissante ne peut mener qu’au conflit, que le spectateur attend, voire espère, tant la dispute est synonyme de comique farcesque dans la comédie.

Et en effet : il se met alors en place une vive stichomythie (= des échanges verbaux vifs et rapides).

Argan laisse éclater son orgueil en une parole qui se veut performative  : « je veux, moi, que cela soit.  » (une phrase est performative lorsque le fait de la prononcer permet de réaliser ce qu’elle énonce). Mais Toinette s’oppose, et les répliques fusent.

Toinette accuse Argan de ne pas savoir ce qu’il dit : « On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites. »

B – Argan menace : Angélique devra choisir entre ce mariage forcé ou le couvent

(de «  on dira ce qu’on voudra » à « je lui défends absolument d’en rien faire »).

Cependant, si Toinette semble l’emporter par la maîtrise de la parole, Argan l’emporte par sa supériorité sociale.

Ainsi, il menace  Angélique au futur de l’indicatif : «  Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent.  » Angélique est piégée entre deux alternatives tragiques : le mariage avec Diafoirus ou le couvent.

Le pronom complément d’objet direct « la » («  je la mettrai dans un couvent  » ) révèle à quel point Argan réifie sa fille dont il dispose comme bon lui semble.

L’ interrogation de Toinette (« Vous ? ») souligne la surprise de la servante devant les excès de cette tyrannie paternelle. Cette réplique cherche aussi à faire perdre à Argan sa crédibilité et à le piquer au vif.

Le procédé ne manque pas de fonctionner. Les contestations de Toinette sont répétées par Argan : « Je ne la mettrai point dans un couvent ? » , «  non ?  » .  Ces répétitions comiques prolongent la tension dramatique tout en amplifiant le plaisir du spectateur.

De nouveau, une stichomythie oppose la servante et son maître. Les phrases monosyllabiques , composées d’un adverbe (« Oui », « Non ») ou d’un pronom personnel (« Moi »), vident le langage de sa substance. La scène repose sur le comique de répétition et l’exagération jusqu’à la caricature . La scène devient farcesque .

Toinette recourt alors à un argument affectif : «  La tendresse paternelle vous prendra.  »

Cette réplique est un piège car elle amène Argan à clamer son insensibilité («  Elle ne me prendra point.  »), ce qui fait bien de lui un personnage moliéresque excessif , comme l’est Alceste (dans Le Misanthrope ) ou Harpagon (dans L’Avare ).

Mais malgré cela, Toinette insiste : «  Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon naturellement.  »

L’invitation à la clémence suscite l’effet inverse, puisqu’Argan affirme «  avec emportement. Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.  » Le comique de caractère atteint son paroxysme .

C – Argan s’insurge contre les contestations de sa servante Toinette et veut la battre

(de «  où est-ce donc que nous sommes » à la fin de la scène).

Jusque-là, Argan prenait la peine de converser avec Toinette , ce qui tient du comique de situation , puisqu’elle n’est qu’une servante lui devant obéissance.

Ce n’est qu’au terme de cette longue dispute qu’il s’insurge enfin contre l’insolence de son employée de maison : «  Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler de la sorte devant son maître ?  »

À ces questions rhétoriques , Toinette répond habilement par un sage aphorisme au présent de vérité générale : «  Quand un maître ne s onge pas à c e qu’il fait, une s ervante bien s en s ée est en droit de le redre ss er.  » Elle justifie ses insolences par les intérêts de son maître, qu’elle prétend défendre. L ‘allitération en « s » souligne le persiflage de la servante.

La scène bascule alors dans la farce , puisqu’Argan veut battre Toinette avec un bâton : « courant après Toinette. Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.  »

Les didascalies font état d’une agitation extrême qui ne peut que donner lieu à une scène plaisante pour le spectateur : « court après Toinette », « se sauve de lui », « court après elle autour de la chaise », « courant et se sauvant du côté de la chaise. »  La chaise et le bâton sont des objets scéniques qui accentuent le comique de gestes .

La violence et les injures du maître («  Chienne !  », «  Pendarde ! « , «  Carogne !  » ) créent par antithèse un contraste comique avec le discours moralisateur et protecteur de Toinette qui s’exprime avec une tournure impersonnelle : «  Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.  »

Toinette finit par s’affirmer comiquement comme une autorité concurrente face à Argan : «  Je ne veux point  » , «  Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.  »

Argan, vaincu par l’endurance de Toinette, appelle à l’aide sa fille, ce qui est paradoxal car il lui impose son mariage.

Mais Toinette intervient : «  moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.  » Le comique atteint ici son paroxysme car cette réplique exprime une inversion sociale complète . Toinette prend littéralement la place d’Argan pour affirmer déshériter Angélique. Elle se substitue au père.

Argan capitule et s’écroule sur sa chaise. Sa dernière réplique permet de revenir au thème principal de la pièce : l’hypocondrie du personnage qui craint la mort : «  Voilà pour me faire mourir.  » .

Le Malade imaginaire, acte 1 scène 5, conclusion

Nous avons vu que le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque la tristesse de sa fille Angélique et la résistance comique de sa servante Toinette.

Cette longue scène 5, dans le premier acte du Malade imaginaire est capitale car elle pose le nœud de l’intrigue .

Si Angélique se soumet à son père, Toinette s’insurge malgré les hiérarchies sociales, provoquant une dispute comique permettant de déployer tous les procédés caractéristiques de la farce populaire  : quiproquo, stichomythie, bastonnade.

Cependant, Molière met habilement le comique farcesque au service d’une féroce satire sociale  : l’hypocondrie d’Argan, malade imaginaire, est une véritable maladie sociale qui menace de détruire sa famille, tandis que les médecins sont représentés comme des charlatans.

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Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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Tu peux également retrouver mes conseils dans mon livre Réussis ton bac de français 2024 aux éditions Hachette.

J'ai également publié une version de ce livre pour les séries technologiques ici.

5 commentaires

Bonjour, j’étais en train de lire votre travaille sur la malade imaginaire Acte 1 scène 5. Dans la deuxième partie, je ne parviens pas à comprendre qu’il y a une anaphore alors que vous l’avez définit dans votre livre comme une répétition en début de phrase ?

« L’anaphore ternaire en « Diafoirus », dans la justification de Toinette, insiste sur le ridicule de ce patronyme: « elle n’a que faire de monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. » »

Merci de votre aide Yanis

Merci beaucoup de nous laisser consulter ça gratuitement ! Je suis en 1ère cette année, et avec les demi-jauges et les cours à distance, il m’arrive quelques fois d’être perdue… Ce site m’aide à compléter ce que me donne ma prof, alors merci beaucoup pour vos cours, qui aident sans doute de nombreux autres élèves 🙂 Bonne journée.

Merci pour ton message Inès. Cette année 2021 est en effet particulière et je suis heureuse de savoir que mon site vous aide, notamment lorsque vous travaillez en distanciel. Bon courage pour cette dernière ligne droite de préparation !

Bonjour, merci pour votre travail, cependant je trouve cela dommage qu’il n’y ait pas d’ouverture à la fin de la conclusion. Je pense que cela est un point à travailler. Sinon continuez ainsi c’est très bien . Bon courage et bonne continuation

Bonjour, j’ouvre sur la satire sociale présente dans l’œuvre. Les ouvertures sur d’autres extraits ne sont pas toujours les plus pertinentes car elles sont souvent artificielles. N’hésite pas à te renseigner sur les autres types d’ouvertures possibles (j’en parle sur le site et dans mon livre).

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